TRIBUNAL SUPRÊME de la Principauté de Monaco - EXTRAIT
Audience du 25 mars 2025
Lecture du 9 avril 2025
Recours en annulation pour excès de pouvoir contre l’arrêté ministériel du 23 juillet 2024 du Ministre d’État révoquant l’autorisation de constitution de la société anonyme monégasque dénommée J.
En la cause de :
La société anonyme monégasque dénommée J en abrégé J, dont le siège social est sis x1, à Monaco, prise en la personne de son président administrateur délégué en exercice demeurant en cette qualité audit siège ;
Ayant élu domicile en l’étude de Maître Charles LECUYER, Avocat-défenseur près la Cour d’appel de Monaco et plaidant par Maître s.AG, Avocat au barreau de Nice ;
Contre :
L’État de Monaco, représenté par le Ministre d’État, ayant pour Avocat-défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par Maître Jacques MOLINIÉ, Avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation de France ;
LE TRIBUNAL SUPRÊME
Siégeant et délibérant en Assemblée plénière,
…/…
Après en avoir délibéré :
Considérant que la société J demande l’annulation de l’arrêté ministériel n° 2024‑427 du 23 juillet 2024, publié le 2 août 2024, prononçant la révocation de l’autorisation de constitution qui lui avait été accordée par arrêté ministériel n° 2017‑719 du 28 septembre 2017 ;
Sur le cadre juridique applicable au litige
Considérant qu’aux termes de l’article 2 de la loi n° 1.439 du 2 décembre 2016 portant création de l’activité de AC : « L’activité de AC est subordonnée à l’obtention préalable d’une autorisation administrative, laquelle, délivrée par arrêté ministériel, ne peut être consentie, à l’exclusion des établissements de crédit, qu’à des sociétés anonymes monégasques dans les conditions prévues, selon les cas, aux articles 3 ou 4. L’autorisation de constitution de la société anonyme porte alors la mention « AC » laquelle est également intégrée dans la dénomination de la société » ;
Considérant que l’exigence d’une autorisation comporte nécessairement, pour l’autorité qui accorde cette autorisation, le pouvoir de l’abroger ou la retirer lorsque le titulaire cesse de remplir les conditions mises à son octroi ou à son exercice ; que si l’article 1er de la loi 767 du 8 juillet 1964 relative à la révocation des autorisations de constitution des sociétés anonymes et en commandite par actions ne qualifie pas la nature de l’arrêté ministériel de révocation de l’autorisation de constitution de société anonyme et en commandite par actions, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que l’autorité compétente pour délivrer une autorisation de constitution de société anonyme et en commandite par actions, puisse, dans un but préventif, afin de préserver l’ordre public économique, retirer cette autorisation dans les cas où les conditions requises pour sa délivrance ne sont plus remplies ; que les mesures de révocation prises sur le fondement de l’article 1er de la loi n° 767 du 8 juillet 1964, lesquelles visent à abroger l’autorisation de constitution des sociétés anonymes et en commandite par actions précédemment accordée, peuvent ainsi légalement revêtir le caractère soit d’une mesure de police administrative, soit d’une sanction administrative infligée dans un but répressif ; que, dès lors, contrairement à ce que soutient la société requérante, la révocation de l’autorisation de constitution dont elle fait l’objet ne revêt pas, en l’espèce, eu égard à ses motifs et sa finalité, le caractère d’une sanction ayant le caractère de punition mais doit être regardée comme une mesure de police administrative ;
Sur les conclusions à fin d’annulation
En ce qui concerne la légalité externe de la décision attaquée :
Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 1er de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs : « Doivent être motivées à peine de nullité les décisions administratives à caractère individuel qui : 1° - restreignent l’exercice des libertés publiques ou constituent une mesure de police ; (…) 3° - refusent une autorisation ou un agrément ; (…) 5° - retirent ou abrogent une décision créatrice de droits (…) » ; que le premier alinéa de l’article 2 de la même loi précise que « la motivation doit être écrite et comporter, dans le corps de la décision, l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent son fondement » ; que, si l’arrêté litigieux se borne à viser l’avis motivé donné par la commission spéciale au cours de sa séance du 12 juin 2024, la lettre du 1er août 2024 par laquelle le Ministre d’État notifie cette décision à la société requérante rappelle les textes applicables et lui fait connaître les deux motifs sur lesquels repose la décision de révocation ; que, par suite, le moyen tiré de ce que cette décision serait entachée de défaut de motivation doit être écarté ;
Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes de l’article 2 de la loi n° 767 du 8 juillet 1964 : « L’autorisation de constitution ne peut être révoquée qu’après avis motivé d’une commission spéciale qui est composée et procède ainsi qu’il est dit aux articles 3 et 4 » ; que l’article 4 de la même loi précise : « Cet avis doit être expressément visé dans l’arrêté ministériel révoquant l’autorisation ; il sera communiqué aux représentants de la société sur leur demande » ; que, si cette dernière disposition prévoit la communication à la société intéressée de l’avis de cette commission spéciale, elle n’exige pas que cette communication se fasse avant la prise de la décision en cause ; que, par suite, le défaut de communication de cet avis, lequel peut au demeurant être contesté dans le cadre de la procédure contentieuse, comme l’a d’ailleurs fait la société requérante, n’entache pas la décision attaquée d’irrégularité ;
Considérant, en troisième lieu, que si la commission spéciale prévue par la loi n° 767 du 8 juillet 1964 a proposé un troisième motif pour fonder la révocation de l’autorisation de constitution alors que la convocation devant elle ne portait que sur deux motifs, le Ministre d’État ne l’a pas retenu ; que, par suite, la décision n’est pas entachée d’irrégularité sur ce point ;
En ce qui concerne la légalité interne de la décision attaquée :
Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 3 de la loi n° 1.439 du 2 décembre 2016 portant création de l’activité de AC : « Lorsque l’objet de la société de AC exclut les activités relevant des chiffres 3° et 4° de l’article premier de la loi n° 1.338 du 7 septembre 2007, modifiée, les actionnaires et les personnes physiques ayant le pouvoir de diriger ou d’administrer la société, doivent satisfaire à des conditions de compétence professionnelle et de moralité définies par Ordonnance Souveraine./ Tout changement d’actionnaire, de dirigeant ou d’administrateur est, à peine de révocation de l’autorisation de constitution de la société dans les conditions fixées par la loi n° 767 du 8 juillet 1964, modifiée, subordonné à l’obtention d’un agrément préalable délivré par décision du Ministre d’État./ Nonobstant les dispositions particulières des précédents alinéas, la société de AC demeure soumise aux règles régissant les sociétés anonymes » ; qu’il résulte de ces dispositions que l’autorisation d’exercer l’activité de AC est accordée intuitu personae et ne peut être étendue à une tierce personne sans que l’administration ait préalablement délivré un agrément reconnaissant la compétence professionnelle et la moralité de cette tierce personne ;
Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article 1er de la loi n° 767 du 8 juillet 1964 : « Sans préjudice des dispositions légales en vigueur, les autorisations de constitution des sociétés anonymes et en commandite par actions, accordées en vertu de l’Ordonnance du 5 mars 1895, peuvent être révoquées par arrêté ministériel, lorsque : (…) 4° la société ne se livre pas à une activité conforme à ses statuts ; (…) 6° dans l’exercice de son activité autorisée, la société a méconnu les dispositions législatives ou réglementaires qui lui sont applicables » ;
Considérant, en premier lieu, que la société requérante n’a été autorisée qu’à fournir des conseils et services de nature patrimoniale, à savoir comme le précise l’article 1er de la loi n° 1.439 du 2 décembre 2016, des « conseils en matière patrimoniale, portant notamment sur la planification et l’organisation patrimoniale, le suivi administratif et financier d’un patrimoine » et « la coordination des prestataires de services extérieurs au AC intervenant en relation avec un patrimoine, le suivi ou l’évaluation de leurs performances » ; qu’il ressort des pièces du dossier qu’elle propose des activités d’assistance personnelle des clients et d’assistance comptable ou de gérance de sociétés ainsi que des prestations de constitution, de domiciliation ou d’élaboration d’actes administratifs et juridiques, qui vont au-delà des conseils en patrimoine et de la coordination d’autres prestataires de services intervenant en relation avec un patrimoine ; qu’il s’ensuit que le premier motif retenu par la décision attaquée n’est pas entaché d’illégalité ;
Considérant, en deuxième lieu, que l’arrêté ministériel n° 2017‑719 du 28 septembre 2017 a autorisé la société requérante à se constituer et a approuvé ses statuts tels que résultant de l’acte en brevet en date du 20 juillet 2017 en prévoyant, à son article 4, que « toute modification aux statuts susvisés devra être soumise à l’approbation du Gouvernement » ; que cet acte du 20 juillet 2017 mentionne les trois membres fondateurs, à savoir E. F., C. D. et J. H. ; que, lors de l’assemblée générale constitutive du 16 février 2018, deux nouveaux actionnaires ont été intégrés, la SARL AF et A. A., laquelle est devenue administratrice à l’instar des trois membres fondateurs ; que, le 6 avril 2018, E. F. a cédé ses parts à A. A. ; que, le 3 janvier 2019, J. H. a également cédé ses parts à A. A. ; que, le 25 septembre 2020, S. A. G. a acquis 150 actions ; que, le 30 août 2023, A. A. a cédé 150 actions à la SCP AB qu’elle détient à 99,99 % ; qu’ainsi, à la date de la décision attaquée, le capital de la société appartenait à A. A. à hauteur de 99,98 %, à S. A. G. à hauteur de 0,1 % et à la SCP AB à hauteur de 0,1 % ;
Considérant que, si le Ministre d’État indique que la société requérante n’a jamais sollicité d’agrément préalablement aux changements d’actionnaires, de dirigeants ou d’administrateurs mentionnés au point précédent, et en particulier A. A., S. A. G. et la SCP AB, la société requérante fait valoir qu’elle a systématiquement informé l’administration de ces changements en procédant aux formalités requises par le répertoire du commerce et d’industrie et qu’elle dispose donc des agréments exigés par la loi ; que, toutefois, l’enregistrement d’une société au répertoire du commerce et d’industrie ainsi que des modifications de certaines informations la concernant a pour principal objet de rendre l’existence de cette société ainsi que ces modifications opposables aux tiers et ne saurait se substituer aux formalités relevant de législations ou de réglementations indépendantes ; qu’à supposer même que l’accomplissement de telles formalités puisse être assimilé à une demande d’agrément, celle‑ci ne présenterait pas un caractère préalable comme exigé par l’article 3 de la loi n° 1.439 du 2 décembre 2016 et n’aurait pu donner lieu, en l’absence de décision expresse, qu’à une décision implicite de rejet en application de l’article 14 de l’Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 ; qu’il s’ensuit que le second motif retenu par la décision attaquée n’est pas entaché d’une erreur de fait ;
Considérant, en troisième lieu, que la société requérante soutient que l’arrêté contesté contreviendrait au principe de sécurité juridique tel que consacré par la jurisprudence du Tribunal Suprême ; que, toutefois, les textes législatifs applicables en l’espèce ne souffrent d’aucune ambiguïté et n’ont fait l’objet d’aucune modification depuis l’autorisation accordée en 2017 ; que, si l’administration a procédé à certains contrôles sans relever d’irrégularités, il ne lui appartenait pas de renoncer à en tirer les conséquences à la suite de l’avis de la commission spéciale qui a confirmé leur existence ; que, par suite, le moyen susmentionné ne peut qu’être écarté ;
Considérant, en quatrième lieu, qu’eu égard au caractère intuitu personae de l’autorisation accordée et à son champ d’application limité, la société requérante n’est pas fondée, en tout état de cause, à soutenir que la mesure prononcée contre elle et qui découle de l’application de la loi serait disproportionnée ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêté ministériel n° 2024‑427 du 23 juillet 2024 prononçant la révocation de son autorisation de constitution ;
Sur les conclusions à fin d’injonction :
Considérant qu’à supposer même que la société requérante ait entendu que le Tribunal Suprême fasse état de sa décision directement auprès des services du répertoire du commerce et de l’industrie en vue de son exécution, il n’appartient pas au Tribunal Suprême d’adresser des injonctions à l’administration ; que dès lors, ces conclusions ne peuvent, en tout état de cause, qu’être rejetées ;
Décide :
Article Premier.
La requête de la société anonyme monégasque J est rejetée.
Art. 2.
Les dépens sont mis à la charge de la société anonyme monégasque J, avec distraction au profit de Maître Christophe SOSSO, Avocat-défenseur, sous sa due affirmation et seront liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.
Art. 3.
Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d’État.
Pour extrait certifié conforme à l’original délivré en exécution de l’article 37 de l’Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963.
Le Greffier en Chef,
N. Vallauri.