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TRIBUNAL SUPRÊME de la Principauté de Monaco - EXTRAIT

  • N° journal 8748
  • Date de publication 23/05/2025
  • Qualité 100%
  • N° de page

Audience du 24 mars 2025

Lecture du 9 avril 2025

 

Recours en annulation pour excès de pouvoir de l’Ordonnance Souveraine du 1er février 2024 mettant S. C. en retraite d’office, ainsi que des décisions des 20 juillet et 2 août 2023 la suspendant de ses fonctions.

En la cause de :

S. C., née le jma à Nantes (France), de nationalité française, demeurant x1 ;

Ayant élu domicile en l’étude de Maître Xavier‑Alexandre BOYER, Avocat-défenseur près la Cour d’appel de Monaco, et plaidant par Maître Elodie MOINE, avocat au barreau de Nice ;

Contre :

L’État de Monaco, représenté par le Ministre d’État, ayant pour Avocat-défenseur Maître Alexis MARQUET, et plaidant par Maître F. K., avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation de France ;

LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en Assemblée plénière,

…/…

Après en avoir délibéré :

1. Considérant que S. C. demande l’annulation pour excès de pouvoir de l’Ordonnance Souveraine du 1er février 2024 la mettant à la retraite d’office, ainsi que des décisions des 20 juillet et 2 août 2023 la suspendant de ses fonctions ; qu’elle présente également des conclusions aux fins d’indemnisation et d’injonction ;

Sur les conclusions à fin d’annulation des décisions de suspension

2. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 13 de l’Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 sur l’organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême : « Sous réserve des dispositions de l’alinéa suivant, le délai du recours devant le Tribunal Suprême est, à peine d’irrecevabilité, de deux mois à compter, selon le cas, de la notification de la signification ou de la publication de l’acte ou de la décision attaquée » ; que son article 14 dispose : « Le silence gardé par l’autorité compétente pendant plus de quatre mois sur une réclamation vaut décision de rejet. Le recours contre cette décision implicite est ouvert à compter de l’expiration du délai de quatre mois susvisé et pendant les deux mois qui suivent cette expiration (…) » ; qu’enfin aux termes du premier alinéa de son article 15 : « Le recours gracieux ou hiérarchique conserve le délai du recours contentieux, à condition qu’il soit formé dans le délai de ce dernier et que le recours contentieux soit lui‑même formé dans les deux mois du rejet explicite ou implicite du recours gracieux ou hiérarchique » ;

3. Considérant que, par décision du 20 juillet 2023, le Directeur du AB a suspendu S. C., à titre conservatoire, de ses fonctions de Chef de Service au sein du Service de Gériatrie du AC ; que, le 17 août 2023, cette dernière a formé un recours gracieux qui a été reçu le même jour par le Directeur et qui, en l’absence de réponse de ce dernier, a été implicitement rejeté à l’expiration du délai de quatre mois mentionné au point 2, soit le 17 décembre 2023 ; que le délai imparti à la requérante pour se pourvoir contre cette décision implicite expirait donc, en application des dispositions précitées, deux mois après l’intervention de cette décision ; qu’ainsi sa requête, enregistrée au greffe du Tribunal Suprême le 15 avril 2024, est tardive en tant qu’elle est dirigée contre la décision de suspension du 20 juillet 2023 ;

4. Considérant que, par décision du 2 août 2023 qui a été notifiée à l’intéressée le 5 août 2023, le Ministre d’État a, sur proposition du Conseil d’administration du AB du 27 juillet 2023, suspendu S. C. de ses fonctions à titre conservatoire ; que celle‑ci n’a formé aucun recours administratif ou contentieux contre cette décision dans le délai de deux mois à compter de sa notification ; que, si elle fait valoir que cette décision ne comportait aucune indication des voies et délais de recours, ni les dispositions de l’Ordonnance Souveraine du 16 avril 1963, ni aucune autre disposition n’imposent qu’une décision administrative individuelle ou sa notification mentionne les voies et délais de recours contre cette décision ; que, dans ces conditions, sa requête, enregistrée au Greffe Général du Tribunal Suprême le 15 avril 2024, est tardive en tant qu’elle est dirigée contre la décision de suspension du 2 août 2023 ;

5. Considérant qu’il s’ensuit que les fins de non-recevoir opposées par le Ministre d’État et tirées de l’irrecevabilité des conclusions de la requérante dirigées contre les deux décisions suspendant s C de ses fonctions à titre conservatoire doivent être accueillies ;

Sur les conclusions à fin d’annulation de la décision de mise en retraite d’office

En ce qui concerne la régularité de la procédure disciplinaire :

Quant à l’enquête administrative :

6. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la décision d’engager une procédure disciplinaire contre S. C. a été prise le 10 octobre 2023 par le Ministre d’État au vu du rapport d’enquête administrative établi le 3 octobre 2023 par le Directeur des Affaires Médicales à la demande du Directeur du AB ; que cette enquête ne constitue pas une phase de la procédure disciplinaire ; que, par suite, la requérante ne peut utilement soutenir que les conditions dans lesquelles elle s’est déroulée affecteraient la régularité de cette procédure et entacheraient d’illégalité la décision attaquée ;

7. Considérant, au demeurant, qu’il ne ressort pas de la lecture du rapport d’enquête administrative que celle‑ci aurait été conduite à charge ou en méconnaissance des principes d’impartialité et de loyauté ; qu’alors même qu’aucune disposition n’exige que la personne qui fait l’objet d’accusations de harcèlement soit informée de la tenue d’une enquête et qu’elle soit entendue au cours de celle‑ci, tous les signalements et témoignages ont été communiqués à la requérante avant la rédaction du rapport ; qu’elle a pu produire des observations écrites, des attestations en sa faveur ainsi que des remerciements de patients ; qu’une proposition d’entretien pour le 4 octobre 2023 lui a été faite, à laquelle elle n’a pas donné suite pour raison de santé ; que, s’agissant des témoignages, ils ont été recueillis dans l’environnement professionnel des auteurs de signalements ; que, si les infirmiers et aides-soignants du service du Court Séjour Gériatrique n’ont pas été interrogés, c’est en raison de ce que le cadre de santé en fonction et le cadre supérieur en charge de la filière gériatrique ont indiqué ne pas avoir décelé de problème de harcèlement parmi le personnel non médical ; qu’il ressort, en outre, du procès-verbal du Conseil de discipline du 13 novembre 2023 que la requérante a pu fournir devant celui‑ci de nouveaux témoignages en sa faveur et que le Conseil de discipline a décidé de suspendre les débats pour les analyser ; qu’ainsi et en tout état de cause, la requérante ne peut soutenir que l’enquête administrative aurait été conduite à charge ou en méconnaissance des principes d’impartialité et de loyauté ;

Quant à la composition du Conseil de discipline :

8. Considérant que la requérante soutient que C. D. a été irrégulièrement nommée membre du Conseil de discipline et que, par suite, les délibérations des 13 novembre et 4 décembre 2023 de ce Conseil sont irrégulières et entachent la sanction prononcée d’un vice de procédure ;

9. Considérant, en premier lieu, que, comme il a été dit au point 7, le Conseil de discipline, réuni le 13 novembre 2023, ne s’est pas prononcé sur les griefs reprochés à la requérante ; que, par suite, l’exception d’illégalité soulevée est inopérante en tant qu’elle porte sur la délibération du 13 novembre 2023 ;

10. Considérant, en second lieu, qu’en vertu de l’article 80 de l’Ordonnance Souveraine n° 13.839 du 29 décembre 1998 portant statut des praticiens hospitaliers au AB, le Conseil de discipline comprend six membres désignés par le Ministre d’État, en particulier un membre « proposé par le Conseil d’administration, parmi les administrateurs n’appartenant pas au corps médical » ; que C. D., qui n’appartient pas au corps médical, était membre du Conseil d’administration du AB en sa qualité de Président du Conseil économique, social et environnemental sur le fondement de l’article 2 de l’Ordonnance Souveraine n° 5.095 du 14 février 1973 sur l’organisation et le fonctionnement du AB ; que son mandat de trois ans a été expressément renouvelé par l’Ordonnance Souveraine n° 8.308 du 23 octobre 2020 et par l’Ordonnance Souveraine n° 10.216 du 21 novembre 2023 avec effet au 23 octobre 2023 ; qu’il s’ensuit qu’à la date du 10 octobre 2023, où elle a été désignée membre du Conseil de discipline par le Ministre d’État ainsi qu’à celle du 4 décembre 2023 à laquelle le Conseil de discipline a rendu son avis, elle était bien membre du Conseil d’administration du AB et a donc pu régulièrement siéger au Conseil de discipline le 4 décembre 2023 ;

11. Considérant qu’il s’ensuit que la requérante n’est pas fondée à soutenir que la composition du Conseil de discipline était irrégulière ;

Quant au procès-verbal du Conseil de discipline du 4 décembre 2023 :

12. Considérant que la requérante estime que le procès-verbal du Conseil de discipline du 4 décembre 2023 est entaché de nullité au motif que l’ensemble de ses pages n’ont pas été paraphées par tous les membres du Conseil ; que, toutefois, aucune disposition législative ou réglementaire n’institue une telle obligation ; que, s’il est vrai que le procès-verbal indique que chaque membre a porté son paraphe en bas de chaque page, cette inexactitude, qui porte sur un élément postérieur à l’avis, reste sans effet sur son existence et son contenu et ce, d’autant plus, qu’il a été signé non seulement par le Président du Conseil de discipline mais également par ses autres membres ;

Quant au procès-verbal du Conseil d’administration du AB du 13 décembre 2023 :

13. Considérant que, dans le dernier état de ses écritures, la requérante soutient que la non-communication de ce procès-verbal, dont elle avait demandé une copie le 18 mars 2024, entache la sanction prononcée d’un vice de procédure dès lors qu’elle n’est pas en mesure de vérifier si les obligations issues de l’article 2 de l’Ordonnance Souveraine n° 5.055 du 8 décembre 1972 ont été respectées, à savoir si le procès-verbal en cause a été signé par le président du Conseil d’administration et par le secrétaire de séance et si des copies certifiées conformes de ce procès-verbal ont été adressées au Ministre d’État dans les dix jours suivant la délibération ; que, toutefois, les formalités ainsi prévues sont postérieures à la délibération prise par le Conseil d’administration et leur non-respect serait, à le supposer établi, sans incidence sur la régularité de l’avis rendu ;

Quant à la date à laquelle la sanction a été prononcée :

14. Considérant qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article 78 de l’Ordonnance Souveraine n° 13.839 du 29 décembre 1998 : « La situation du praticien suspendu doit être réglée dans un délai de quatre mois à compter du jour où la décision de suspension a pris effet » ; que ces dispositions précitées ont pour seul objet de limiter les conséquences de la suspension et ne peuvent avoir pour effet de priver l’autorité investie du pouvoir disciplinaire du droit de prendre sa décision après l’expiration de ce délai ; qu’il s’ensuit que la requérante n’est pas fondée à soutenir que la sanction de mise en retraite d’office, qui lui a été infligée, serait illégale au motif qu’elle lui a été notifiée plus de six mois après la décision de suspension ;

15. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la requérante n’est pas fondée à soutenir que la procédure disciplinaire est entachée d’irrégularité ;

En ce qui concerne le bien-fondé de la sanction :

16. Considérant que, lorsqu’il est saisi par un agent public ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire, il appartient au Tribunal Suprême de contrôler la matérialité des faits reprochés, leur qualification et la proportionnalité entre, d’une part, la gravité des fautes commises et, d’autre part, la sanction prononcée et, s’il y a lieu, d’en réparer les conséquences dommageables ;

17. Considérant qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article 2 de la loi n° 1.457 du 12 décembre 2017 relative au harcèlement et à la violence au travail : « Le harcèlement moral au travail est le fait de soumettre, sciemment et par quelque moyen que ce soit, dans le cadre d’une relation de travail, une personne à des actions ou omissions répétées ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail portant atteinte à sa dignité ou se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale » ; qu’aux termes du premier alinéa de l’article 4 de la même loi : « Tout employé ayant commis ou incité à commettre les faits mentionnés à l’article 2 est passible de sanctions disciplinaires » ;

18. Considérant qu’au mois de mai 2023, le référent harcèlement du AB a reçu six signalements de professionnels, exerçant ou ayant exercé dans le Service du Court Séjour Gériatrique, mettant en cause S. C., Chef de Service ;

19. Considérant que la requérante considère qu’elle a toujours agi dans l’intérêt du service, que l’exercice légitime par l’employeur de son pouvoir de direction ne constitue pas un harcèlement moral, que les faits allégués ne sont pas établis et que l’élément intentionnel du harcèlement moral, exigé par l’article 2 de la loi n° 1.457 du 12 décembre 2017, n’est pas démontré par la partie défenderesse ; qu’elle produit des attestations en sa faveur contredisant les accusations de harcèlement moral ainsi que des messages de remerciements de patients ;

20. Considérant que la sanction infligée à la requérante ne remet nullement en cause ses compétences professionnelles ;

21. Considérant que, si certains faits relevés par ces signalements et considérés isolément ne peuvent être qualifiés de harcèlements, l’ensemble de ces faits, dans leur globalité, constituent un faisceau d’indices suffisamment probants pour faire présumer l’existence d’une situation de harcèlement moral dès lors qu’ils excèdent les limites de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique, qu’ils présentent un caractère répétitif ayant eu pour effet une dégradation des conditions de travail des auteurs des signalements se traduisant par une altération de leur santé physique ou mentale et que la requérante, informée des faits de même nature datant de la période de 2014 à 2017 et évoqués par plusieurs des auteurs de signalement, doit être regardée comme ayant agi en connaissance de cause, même si elle a mésestimé la portée de ses agissements ;

22. Considérant que ni les accusations de cabale ou de vengeance de la part de certains des auteurs de signalement ni le détournement de pouvoir allégué ne sont établis ;

23. Considérant que, si la requérante demande d’écarter les signalements qui reposent sur des faits datant de la période de 2014 à 2017 au motif qu’ils seraient prescrits, aucune disposition législative ni réglementaire ne soumet à une règle de prescription les poursuites disciplinaires contre le personnel du AB ;

24. Considérant, en outre, que la requérante produit de nombreux messages WhatsApp échangés avec plusieurs des auteurs de signalement, qu’elle qualifie de bienveillants et sympathiques et qui, selon elle, contredisent les accusations de harcèlement qu’ils portent contre elle ; que, toutefois, ces messages, qui ont été échangés dans un lien de subordination, ne sont pas, par eux‑mêmes, de nature à écarter toute qualification de harcèlement ;

25. Considérant qu’eu égard à la gravité des faits en cause et au nombre de professionnels de santé qui en ont été victimes, l’auteur de la décision attaquée n’a pas prononcé une sanction disproportionnée en faisant le choix de la mise en retraite d’office ;

Sur les conclusions à fin d’indemnisation

26. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la demande d’indemnité formulée par la requérante ne peut qu’être rejetée ;

Sur les conclusions à fin d’injonction

27. Considérant qu’il n’appartient pas au Tribunal Suprême d’adresser des injonctions à l’administration ; que, dès lors, le Ministre d’État est fondé à soutenir que les conclusions à fin d’injonction présentées par la requérante sont irrecevables ;

Décide :

Article Premier.

La requête de S. C. est rejetée.

Art. 2.

Les dépens sont mis à la charge de S. C., avec distraction au profit de Maître Alexis MARQUET, Avocat-défenseur, sous sa due affirmation et seront liquidés sur état par le Greffier en chef, au vu du tarif applicable.

Art. 3.

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d’État.

Pour extrait certifié conforme à l’original délivré en exécution de l’article 37 de l’ordonnance souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963.

Le Greffier en Chef,

N. Vallauri.

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