TRIBUNAL SUPRÊME de la Principauté de Monaco - EXTRAIT - Audience du 6 juin 2024 - Lecture du 18 juin 2024
Recours en annulation pour excès de pouvoir de la décision du 24 octobre 2022 du Directeur du Travail abrogeant le permis de travail de D. C..
En la cause de :
D. C. ;
Ayant élu domicile en l’étude de Maître Bernard BENSA, Avocat-défenseur près la Cour d’appel de Monaco, et ayant pour avocat plaidant Maître Antoine VANDELET, avocat au Barreau de Nice ;
Contre :
L’État de Monaco, représenté par le Ministre d’État, ayant pour Avocat-défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par Maître Jacques MOLINIÉ, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation de France ;
LE TRIBUNAL SUPRÊME
Siégeant et délibérant en assemblée plénière,
…/…
Après en avoir délibéré :
1. Considérant que D. C. demande l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du 24 octobre 2022 par laquelle Madame le Directeur du Travail a abrogé le permis de travail qui lui avait été octroyé le 24 février 2020 pour exercer en qualité de technicien polyvalent au sein de la société Héritage System ;
2. Considérant, d’abord, qu’aux termes des premier et deuxième alinéas de l’article 1er de la loi du 17 juillet 1957 tendant à réglementer les conditions d’embauchage et de licenciement en Principauté : « Aucun étranger ne peut occuper un emploi privé à Monaco s’il n’est titulaire d’un permis de travail. Il ne pourra occuper d’emploi dans une profession autre que celle mentionnée par ce permis. La demande de permis de travail mentionne, le cas échéant, l’exercice d’une activité de télétravail et les lieux où elle est exercée. / Cette obligation est indépendante de la forme et de la durée du contrat de travail ainsi que du montant et de la nature de la rémunération » ; que l’article 2 de la même loi précise que « La délivrance du permis de travail prévu à l’article premier ne peut intervenir qu’après avis du Directeur de la Sûreté Publique et avis du Directeur de l’Office de la médecine du travail. / Ces avis sont respectivement transmis au Directeur du Travail par le Directeur de la Sûreté Publique et par le Directeur de l’Office de la médecine du travail » ;
3. Considérant, ensuite, qu’aux termes de l’article 2 de l’Ordonnance Souveraine du 18 février 2005, modifiée, portant création d’une Direction du Travail : « Cette Direction est chargée : / […] / - de l’application de la législation et de la réglementation du travail ; / […] / - de la délivrance des permis de travail et des autorisations d’embauchage en s’assurant préalablement auprès de la Direction de la Sûreté Publique, dans le respect des dispositions de l’article 1‑2 de l’Ordonnance Souveraine n° 765 du 13 novembre 2006, modifiée, que le demandeur d’emploi n’est pas susceptible de porter atteinte à l’ordre public ; / […] / - du contrôle du respect de la législation sur les conditions d’embauchage et de licenciement ; / […] » ;
4. Considérant, enfin, que l’article 3 de la loi du 13 juillet 2016 portant diverses mesures relatives à la préservation de la sécurité nationale dispose : « Le Directeur de la Sûreté Publique procède, sur instructions du Ministre d’État ou du Conseiller de Gouvernement-Ministre de l’Intérieur, préalablement aux actes ou décisions administratives d’autorités compétentes dont la liste est fixée par arrêté ministériel, à des enquêtes aux fins de vérifier que des personnes physiques ou morales concernées par ces actes ou décisions, présentent des garanties appropriées et que leurs agissements ne sont pas incompatibles avec ceux‑ci. / Le Directeur de la Sûreté Publique procède également à des enquêtes aux fins de vérifier la situation personnelle, familiale et financière des personnes physiques désireuses de s’établir sur le territoire de la Principauté ou de renouveler leur titre de séjour conformément aux dispositions réglementaires applicables » ; que l’arrêté ministériel n° 2016‑622 du 17 octobre 2016 portant application de l’article 3 de la loi n° 1.430 du 13 juillet 2016 portant diverses mesures relatives à la préservation de la sécurité nationale, range la « délivrance et [le] renouvellement des permis de travail et des autorisations d’embauchage » au nombre des décisions qui donnent lieu à une enquête ;
5. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la décision attaquée est fondée sur les résultats d’une enquête réalisée, en application des dispositions citées ci‑dessus, par la Direction de la Sûreté publique ; que cette enquête a révélé que D. C. avait été mis en cause en qualité d’auteur dans la commission de faits de violences conjugales en état de récidive, pour lesquels il a été condamné le 8 octobre 2020 par le Tribunal Judiciaire de Nice ; que la Direction du Travail a estimé qu’en conséquence, il ne présentait plus les « garanties appropriées » pour occuper son emploi sur le territoire monégasque ;
6. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs : « Doivent être motivées à peine de nullité les décisions administratives à caractère individuel qui : 1° - restreignent l’exercice des libertés publiques ou constituent une mesure de police ; / […] 3° - refusent une autorisation ou un agrément ; / […] 5° - retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; / […] » ; que le premier alinéa de l’article 2 de la même loi précise que « La motivation doit être écrite et comporter, dans le corps de la décision, l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent son fondement » ;
7. Considérant que la décision attaquée mentionne l’article 1er de l’arrêté ministériel n° 2016‑622 du 17 octobre 2016 portant application de l’article 3 de la loi n° l.430 du 13 juillet 2016 précisant diverses mesures relatives à la préservation de la sécurité nationale ; qu’elle fait état du fait que D. C. a été « mis en cause en qualité d’auteur dans la commission de faits de violences conjugales en état de récidive, pour lesquels [il a] été condamné le 8 octobre 2020 par le Tribunal Judicaire de Nice » et indique que « Cette situation [est] d’évidence susceptible de porter atteinte à l’ordre public » ; que la décision comporte ainsi les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement ; que le moyen tiré de ce qu’elle serait insuffisamment motivée doit être écarté ;
8. Considérant, en deuxième lieu, que D. C. soutient que la décision attaquée serait disproportionnée, dans la mesure où elle est fondée sur des faits pour lesquels le Tribunal correctionnel de Nice l’aurait relaxé par un jugement du 22 juin 2022 ; que, toutefois, comme le relève la contre-requête, il ne verse pas aux débats la copie de ce jugement ; qu’il n’apporte donc pas la preuve de ce qu’il avance ; que le moyen allégué ne peut, dès lors, qu’être écarté ; qu’en tout état de cause, il résulte de la note en délibéré, enregistrée le 12 juin 2024, par laquelle le Ministre d’État produit la copie de ce jugement que ce dernier se rapporte à des faits de violence commis le 5 mai 2022, soit postérieurement à ceux sur lesquels s’est fondé le Tribunal Judiciaire de Nice dans son jugement du 8 octobre 2020 ; que, dès lors, le moyen manque en fait ;
9. Considérant, en troisième lieu, que, eu égard à la nature des faits pour lesquels D. C. a été condamné pénalement le 8 octobre 2020 par le Tribunal Judiciaire de Nice, soit postérieurement à la date de délivrance du permis de travail, faits qui portent atteinte à l’ordre public, Madame le Directeur du Travail a pu estimer, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, que le requérant ne présentait plus, à la date à laquelle elle a pris sa décision, les garanties appropriées à l’occupation de l’emploi pour lequel il avait obtenu un permis de travail ;
10. Considérant, en dernier lieu, que le principe de la présomption d’innocence ne s’applique pas aux mesures de police administrative, qui ne constituent pas des sanctions ayant le caractère de punition ; que la décision attaquée ne constitue pas une telle sanction ; que, dès lors, le moyen tiré de la violation de l’article 6 § 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales est inopérant ;
11. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que D. C. n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision qu’il attaque ;
Décide :
Article Premier.
La requête de D. C. est rejetée.
Art. 2.
Les dépens sont mis à la charge de D. C..
Art. 3.
Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d’État.
Pour extrait certifié conforme à l’original délivré en exécution de l’article 37 de l’Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963.
Le Greffier en Chef,
N. Vallauri.