icon-summary icon-grid list icon-caret-left icon-caret-right icon-preview icon-tooltip icon-download icon-view icon-arrow_left icon-arrow_right icon-cancel icon-search icon-file logo-JDM--large image-logo-gppm icon-categories icon-date icon-order icon-themes icon-cog icon-print icon-journal icon-list-thumbnails icon-thumbnails

TRIBUNAL SUPRÊME de la Principauté de Monaco - Extrait - Audience du 12 juillet 2023 - Lecture du 26 juillet 2023

  • N° journal 8655
  • Date de publication 11/08/2023
  • Qualité 100%
  • N° de page

Recours en annulation de la loi n° 1.538 du 16 décembre 2022 modifiant la loi n° 1.096 du 7 août 1986 portant statut des fonctionnaires de la Commune.

En la cause de :

L’UNION DES SYNDICATS DE MONACO, dont le siège est au 28, boulevard Rainier III à Monaco, représentée par son Secrétaire Général en exercice, domicilié en cette qualité audit siège ;

et le SYNDICAT DES AGENTS DE L’ÉTAT ET DE LA COMMUNE, dont le siège 28, boulevard Rainier III à Monaco, représentée par sa Secrétaire Générale en exercice, domiciliée en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l’étude de Maître Richard MULLOT, Avocat-Défenseur près la Cour d’appel de Monaco, substituée par Maître Joëlle PASTOR-BENSA, Avocat-Défenseur près la même Cour, et plaidant par Maître Antoine LYON-CAEN, Avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation de France, substitué par Maître Aurélie SOUSTELLE, Avocat au Barreau de Nice ;

Contre :

L’État de Monaco, représenté par le Ministre d’État, ayant pour Avocat-Défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, Avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation de France ;

LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en assemblée plénière,

…/…

Après en avoir délibéré :

1. Considérant que l’UNION DES SYNDICATS DE MONACO et le SYNDICAT DES AGENTS DE L’ÉTAT ET DE LA COMMUNE demandent, sur le fondement du 2° du A de l’article 90 de la Constitution, l’annulation de la loi du 16 décembre 2022 modifiant la loi n° 1.096 du 7 août 1986 portant statut des fonctionnaires de la Commune ;

Sur les articles 1er, 3 et 22 de la loi

2. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 25 de la Constitution : « La liberté du travail est garantie. Son exercice est réglementé par la loi. / La priorité est assurée aux Monégasques pour l’accession aux emplois publics et privés, dans les conditions prévues par la loi ou les conventions internationales » ; que la priorité ainsi reconnue aux Monégasques s’exerce à la double condition que l’emploi en cause soit vacant et que le candidat possède les titres requis ou les aptitudes nécessaires pour accéder à cet emploi ; qu’en vertu de l’article 51 de la Constitution, « les obligations, droits et garanties fondamentaux des fonctionnaires, ainsi que leur responsabilité civile et pénale, sont fixés par la loi » ;

3. Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article 17 de la Constitution, « les Monégasques sont égaux devant la loi. Il n’y a pas entre eux de privilèges » ; que le principe d’égalité, garanti par l’article 17 de la Constitution, ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit ; qu’en revanche, il n’oblige pas à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes ; que l’article 32 de la Constitution dispose : « L’étranger jouit dans la Principauté de tous les droits publics et privés qui ne sont pas formellement réservés aux nationaux » ;

4. Considérant que l’article 2 de la loi du 7 août 1986, dans sa rédaction résultant de l’article 1er de la loi attaquée énonce désormais que nul ne peut avoir la qualité de fonctionnaire s’il ne possède la nationalité monégasque ; qu’il prévoit, toutefois, que l’emploi de Receveur municipal peut être occupé par un fonctionnaire ne possédant pas cette nationalité ; qu’il résulte notamment des articles 3-1 à 3-4 de la loi du 7 août 1986, issus de l’article 3 de la loi attaquée, que les emplois permanents de la Commune sont occupés par des fonctionnaires ; qu’ils peuvent cependant être pourvus par des agents contractuels lorsqu’aucune personne de nationalité monégasque ne remplit les conditions requises pour les occuper en qualité de fonctionnaire ; que des agents contractuels de la Commune peuvent également être recrutés pour remplacer des fonctionnaires qui n’assurent pas momentanément leurs fonctions ou les assurent à temps partiel, ou pour remplacer d’autres agents de la Commune ou encore pour exécuter des missions ou des tâches déterminées ; que les agents contractuels de la Commune sont recrutés et leur contrat peut être renouvelé, dans des conditions déterminées par ordonnance souveraine, sous réserve de la priorité accordée aux personnes de nationalité monégasque ; que l’article 20-1 de la loi du 7 août 1986, créé par l’article 22 de la loi attaquée, précise que le candidat retenu à l’issue d’un concours de recrutement est recruté en qualité de fonctionnaire s’il est de nationalité monégasque ; qu’il est recruté en qualité d’agent contractuel de la Commune s’il est d’une autre nationalité, sauf application des dispositions relatives à l’emploi de Receveur municipal ;

5. Considérant, en premier lieu, que ni l’article 25 de la Constitution, eu égard à la portée, rappelée au point 2, du principe de priorité des Monégasques pour l’accession aux emplois publics et privés, ni aucune autre disposition de la Constitution ne fait obstacle à ce que le législateur décide de réserver aux nationaux la qualité de fonctionnaire ;

6. Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions des articles 1er, 3 et 22 de la loi attaquée n’ont ni pour objet, ni pour effet, compte tenu des caractéristiques démographiques de la Principauté, d’interdire l’accession aux emplois publics des personnes n’ayant pas la nationalité monégasque ; qu’en effet, elles ne ferment pas aux ressortissants étrangers l’accès aux concours de recrutement organisés par la Commune mais ont pour seule conséquence que l’étranger qui réussit un tel concours est recruté en qualité d’agent contractuel et non de fonctionnaire ; qu’en outre, un étranger peut occuper un emploi permanent de la Commune en qualité d’agent contractuel lorsqu’aucune personne de nationalité monégasque ne remplit les conditions requises pour l’occuper en qualité de fonctionnaire ; qu’ainsi, le moyen tiré de ce que ces dispositions méconnaîtraient la liberté du travail garantie par l’article 25 de la Constitution ne peut qu’être écarté ;

7. Considérant, en troisième lieu, qu’eu égard à la nature particulière du lien les unissant à l’État et ses institutions, les Monégasques ne sont pas dans la même situation que les étrangers ; que le moyen tiré de ce que les articles 1er, 3 et 22 de la loi attaquée méconnaîtraient le principe d’égalité entre Monégasques et ressortissants étrangers n’est donc pas fondé ;

8. Considérant, en quatrième lieu, que les missions confiées au Receveur municipal sont précisées par l’article 64 de la loi du 24 juillet 1974, modifiée, sur l’organisation communale ; que la différence de traitement entre la personne occupant l’emploi de Receveur municipal et les personnes occupant d’autres emplois communaux est fondée sur un critère objectif résultant de la nature des missions assurées ; qu’elle n’est pas contraire au principe d’égalité ;

9. Considérant, en dernier lieu, qu’un étranger occupant un emploi public ne se trouve pas dans la même situation qu’un étranger occupant un emploi privé ; que, par suite, les syndicats requérants ne sont pas fondés à soutenir que la loi attaquée méconnaîtrait le principe d’égalité entre ressortissants étrangers travaillant sur le sol monégasque ;

Sur l’article 15 de la loi

10. Considérant que le second alinéa de l’article 13 de la loi du 7 août 1986, dans sa rédaction résultant de l’article 15 de la loi attaquée, prévoit, d’une part, que le fonctionnaire a accès à son dossier individuel, à l’exception des pièces non consultables dans les conditions définies par ordonnance souveraine et, d’autre part, qu’il a droit d’en obtenir communication avant le prononcé d’une sanction disciplinaire ;

11. Considérant, en premier lieu, d’une part, que le droit, énoncé par l’article 15 de la loi attaquée, d’obtenir communication des pièces de son dossier comporte, pour l’agent concerné, celui d’en prendre copie ; que, d’autre part, en vertu de l’article 41 de la loi du 7 août 1986, le fonctionnaire contre lequel est engagé une procédure devant le conseil de discipline est mis en demeure, par lettre recommandée avec avis de réception, de prendre connaissance de son dossier et de toutes les pièces relatives à l’affaire ; qu’il s’ensuit que les syndicats requérants ne sont pas fondés à soutenir que l’article 15 de la loi attaquée ne permettrait pas un exercice effectif des droits de la défense ;

12. Considérant, en deuxième lieu, que, conformément au principe général du droit de respect des droits de la défense, l’autorité administrative compétente doit faire connaître à l’intéressé les motifs de toute mesure prise en considération de la personne et lui permettre de prendre connaissance des pièces correspondantes de son dossier, de présenter ses observations et, le cas échéant, de se faire assister par un conseil de son choix ; que le respect de ce principe s’impose à l’autorité administrative sans qu’il soit besoin, pour le législateur, d’en rappeler l’existence ; que, par suite et en tout état de cause, les syndicats requérants ne sont pas fondés à soutenir qu’en s’abstenant de prévoir un droit pour le fonctionnaire à la communication des pièces de son dossier à l’occasion du prononcé de toute mesure prise en considération de la personne, le législateur aurait méconnu le principe constitutionnel des droits de la défense ;

13. Considérant, en troisième lieu, qu’en posant le principe d’une exclusion du droit à communication de certaines pièces du dossier et en renvoyant à une ordonnance souveraine le soin de préciser à quelles conditions certaines pièces ou parties de celles-ci ne sont pas consultables par le fonctionnaire concerné, la loi attaquée n’a pas, par elle-même, méconnu le principe constitutionnel des droits de la défense ; qu’il appartiendra à l’ordonnance souveraine de préciser, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, les critères objectifs de nature à justifier une telle exclusion dans le respect du principe constitutionnel des droits de la défense ;

Sur l’article 18 de la loi

14. Considérant que l’article 17 de la loi du 7 août 1986 dans sa rédaction résultant de l’article 18 de la loi attaquée prévoit, tout d’abord, que pour l’application du statut des fonctionnaires de la Commune, aucune distinction n’est faite entre les deux sexes, sous réserve des mesures exceptionnelles commandées par la nature des fonctions ; qu’il énonce ensuite un principe de non‑discrimination interdisant toute distinction entre fonctionnaires en raison de leur genre, de leurs opinions politiques, philosophiques, religieuses ou syndicales, de leur orientation sexuelle, de leur état de santé, de leur handicap, de leur apparence physique ou de leur appartenance ethnique ; que le même article autorise que des distinctions soient faites entre fonctionnaires en vue de répondre à des « exigences professionnelles essentielles et déterminantes », notamment afin de tenir compte de la nature des fonctions ou des conditions de leur exercice ;

15. Considérant, en premier lieu, qu’eu égard à leur emplacement au sein des dispositions générales du statut des fonctionnaires de la Commune, les dispositions de l’article 17 de la loi du 7 août 1986 sont applicables tant au recrutement qu’au déroulement de la carrière des fonctionnaires de la Commune ;

16. Considérant, en deuxième lieu, que le principe d’égalité garanti par l’article 17 de la Constitution implique que les femmes ont vocation à occuper tous les emplois publics dans les mêmes conditions que les hommes, aucune distinction ne pouvant être introduite entre les agents de l’un et de l’autre sexe dans les conditions d’exercice des fonctions correspondant à ces emplois, hormis celles qui sont justifiées soit par les conditions particulières dans lesquelles sont accomplies certaines missions, soit par un motif d’intérêt général ;

17. Considérant qu’en prévoyant que des distinctions entre les deux sexes ne peuvent être faites qu’exceptionnellement et à la condition qu’elles soient commandées par la nature des fonctions, le législateur n’a pas méconnu le principe constitutionnel d’égalité ;

18. Considérant, en troisième lieu, que le principe d’égalité, garanti par l’article 17 de la Constitution, implique également, en matière de fonction publique, qu’il ne soit établi aucune discrimination soit entre les fonctionnaires d’un même cadre, corps ou grade, soit entre les candidats au même emploi, dès lors que les uns et les autres se trouvent dans des situations identiques ;

19. Considérant que le respect du principe constitutionnel d’égalité s’impose à l’Administration sans qu’il soit besoin, pour le législateur, d’en expliciter toutes les implications ; que, par suite, les syndicats requérants ne sont pas fondés à soutenir qu’en s’abstenant de mentionner certains motifs de discrimination tels que l’âge, l’état de grossesse, le nom patronymique ou la « prétendue race », l’article 18 de la loi attaquée méconnaîtrait l’article 17 de la Constitution ;

20. Considérant, en dernier lieu, que les « exigences professionnelles essentielles et déterminantes » susceptibles de justifier des distinctions doivent être objectivement commandées par la nature ou les conditions d’exercice des fonctions ; que la différence de traitement en résultant doit être appropriée et nécessaire pour répondre à l’objectif d’intérêt général poursuivi ; que de telles distinctions peuvent être notamment fondées sur un critère d’aptitude physique ou une condition d’âge ; qu’en revanche, contrairement à ce qui est soutenu par les syndicats requérants, l’article 18 de la loi attaquée n’autorise pas que des distinctions soient fondées sur des caractéristiques personnelles sans lien avec la nature des fonctions ou les conditions de leur exercice ; que le moyen tiré de ce que cette disposition méconnaîtrait le principe d’égalité et, par voie de conséquence, les autres droits et libertés garantis par le titre III de la Constitution doit, dès lors, être écarté ;

Sur l’article 19 de la loi

21. Considérant que l’article 18 de la loi du 7 août 1986, dans sa rédaction résultant de l’article 19 de la loi attaquée, dispose que nul ne peut être nommé dans l’un des emplois permanents de la Commune s’il n’est pas de bonne moralité ;

22. Considérant que cette disposition a pour objet de permettre à l’Administration de s’assurer que les personnes aspirant à occuper de tels emplois présentent les garanties nécessaires pour exercer leurs fonctions et respecter les devoirs qui s’y attachent ; qu’il appartient à l’Administration d’apprécier, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, les faits de nature à mettre sérieusement en doute l’existence des garanties requises ; que, contrairement à ce que soutiennent les syndicats requérants, le principe d’égalité garanti par la Constitution n’impose pas que le législateur définisse des critères plus précis que celui prévu par la loi attaquée ;  que par suite, le moyen tiré de ce que l’article 19 de la loi attaquée méconnaîtrait le principe constitutionnel d’égalité et les autres droits et libertés garantis par le titre III de la Constitution n’est, en tout état de cause, pas fondé ;

Sur l’article 41 de la loi

23. Considérant que l’article 42 de la loi du 7 août 1986, dans sa rédaction résultant de l’article 41 de la loi attaquée, dispose que le fonctionnaire qui a fait l’objet d’une sanction disciplinaire, mais qui n’a pas été exclu des cadres, peut, après trois années s’il s’agit d’un avertissement ou d’un blâme et cinq années s’il s’agit d’une autre sanction, introduire, par la voie hiérarchique, une demande tendant à ce que toute mention de la sanction prononcée soit effacée de son dossier ; qu’il précise qu’il ne peut toutefois être fait droit à sa demande que si, par son comportement général, l’intéressé a donné toute satisfaction depuis la sanction dont il a fait l’objet ;

24. Considérant que la condition posée par l’article 41 de la loi attaquée tient à la manière de servir du fonctionnaire appréciée par l’autorité hiérarchique sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir ; qu’en outre, la disposition critiquée prévoit que le Maire se prononce sur la demande après avis de la commission de la fonction publique et du chef de service de l’intéressé ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu’en posant cette condition à l’effacement de toute mention au dossier de la sanction, l’article 41 de la loi attaquée méconnaîtrait le principe d’égalité et la liberté du travail doit être écarté ;

25. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que l’UNION DES SYNDICATS DE MONACO et le SYNDICAT DES AGENTS DE L’ÉTAT ET DE LA COMMUNE ne sont pas fondés à demander l’annulation de la loi n° 1.538 du 16 décembre 2022 modifiant la loi n° 1.096 du 7 août 1986 portant statut des fonctionnaires de la Commune ;

Décide :

Article Premier.

Sous la réserve énoncée au considérant n° 13, la requête de l’UNION DES SYNDICATS DE MONACO et du SYNDICAT DES AGENTS DE L’ÉTAT ET DE LA COMMUNE est rejetée.

Art. 2.

Les dépens sont mis à la charge de l’UNION DES SYNDICATS DE MONACO et du SYNDICAT DES AGENTS DE L’ÉTAT ET DE LA COMMUNE.

Art. 3.

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d’État.

Pour extrait certifié conforme à l’original délivré en exécution de l’article 37 de l’Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963.

Le Greffier en Chef,

V. Sangiorgio.

Imprimer l'article
Article précédent Retour au sommaire Article suivant

Tous droits reservés Monaco 2016
Version 2018.11.07.14