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TRIBUNAL SUPRÊME de la Principauté de Monaco - Extrait - Audience du 17 novembre 2022 - Lecture du 2 décembre 2022

  • N° journal 8623
  • Date de publication 30/12/2022
  • Qualité 100%
  • N° de page

Recours en annulation pour excès de pouvoir de la décision du 24 février 2020 du Directeur de la Sûreté Publique rejetant la première demande de carte de séjour de résident de Mme K. veuve N. et de la décision du 23 novembre 2020 du Conseiller de Gouvernement-Ministre de l’Intérieur rejetant son recours hiérarchique.

En la cause de :

Mme A. K. veuve N. ;

Ayant élu domicile en l’étude de Maître Régis BERGONZI, Avocat-Défenseur près la Cour d’appel de Monaco, substitué par Maître Hervé CAMPANA, Avocat-Défenseur près la même Cour, et plaidant par Maître Gaston CARRASCO, Avocat au barreau de Nice ;

Contre :

L’État de Monaco, représenté par le Ministre d’État, ayant pour Avocat-Défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, Avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation de France ;

LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en assemblée plénière,

…/…

Après en avoir délibéré :

1. Considérant que Mme A. K. veuve N., ressortissante russe résidant en France, demande au Tribunal Suprême d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 24 février 2020 par laquelle le Directeur de la Sûreté Publique a rejeté sa première demande de carte de séjour de résident ainsi que la décision du 23 novembre 2020 du Conseiller de Gouvernement-Ministre de l’Intérieur rejetant son recours hiérarchique contre cette décision ;

2. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 1er de la Constitution : « La Principauté de Monaco est un État souverain et indépendant dans le cadre des principes généraux du droit international et des conventions particulières avec la France. / Le territoire de la Principauté est inaliénable » ; que le secret de la sécurité nationale est au nombre des exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts supérieurs de l’État ; qu’il s’oppose à ce que soient communiquées à des personnes non habilitées des informations dont la divulgation serait de nature à compromettre la sécurité nationale de la Principauté ou le respect de conventions conclues avec des États tiers concernant l’échange et la protection d’informations classifiées ;

3. Considérant, d’autre part, que l’article 2 de la Constitution dispose : « Le principe du Gouvernement est la monarchie héréditaire et constitutionnelle. La Principauté est un État de droit attaché au respect des libertés et droits fondamentaux » ; que dans l’accomplissement de la mission qui lui a été confiée par le Prince en vertu de l’article 90 de la Constitution, il appartient au Tribunal Suprême de garantir un exercice effectif des libertés et droits consacrés par le titre III de la Constitution et d’en préciser la portée ; que le droit à un recours juridictionnel effectif est inhérent à l’affirmation constitutionnelle de la Principauté de Monaco en tant qu’État de droit ; que le respect de ce droit participe à la garantie des droits fondamentaux consacrés par le titre III de la Constitution ; que le droit à un recours juridictionnel effectif implique le respect des droits de la défense, le caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle et le droit à l’exécution des décisions de justice ;

4. Considérant, en premier lieu, que le droit à un recours juridictionnel effectif implique que, pour se prononcer sur une requête assortie d’allégations sérieuses, le Tribunal Suprême soit en mesure d’apprécier, à partir d’éléments précis, le bien-fondé du motif invoqué pour justifier l’acte attaqué ; qu’il appartient à l’Administration de verser au dossier, dans le respect des exigences inhérentes à la sauvegarde des intérêts supérieurs de l’État, les éléments d’information nécessaires pour que le juge statue en pleine connaissance de cause ; que ces éléments doivent à tout le moins comporter, même de manière sommaire, la substance des motifs qui justifient l’acte attaqué ; qu’il revient, le cas échéant, au Tribunal Suprême, avant de se prononcer sur la requête, de prescrire, sur le fondement de l’article 32 de l’Ordonnance Souveraine du 16 avril 1963, les mesures d’instruction propres à lui procurer les éléments qui peuvent être versés au débat contradictoire dans le respect des exigences inhérentes à la sauvegarde des intérêts supérieurs de l’État et qui sont de nature à lui permettre d’établir sa conviction ;

5. Considérant, en deuxième lieu, que le principe du caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle interdit, en principe, au juge de se fonder sur des pièces dont les parties n’auraient pu prendre connaissance ; que la garantie du droit à un recours juridictionnel effectif peut toutefois imposer que des éléments ou des pièces couverts par le secret de la sécurité nationale et dont la déclassification n’est pas possible soient communiqués aux seuls membres de la formation de jugement du Tribunal Suprême, le cas échéant en section administrative et après mise en œuvre des procédures appropriées pour leur permettre d’avoir accès à ces éléments ou pièces ;

6. Considérant, en dernier lieu, que lorsque, dans l’un comme dans l’autre cas, l’Administration refuse de communiquer les éléments et pièces nécessaires, elle ne met pas le Tribunal Suprême à même d’exercer son contrôle ; que, dès lors, il y a lieu pour lui d’annuler l’acte attaqué ;

7. Considérant que si le rejet de la première demande de carte de séjour de résident opposé à Mme A. K. veuve N., n’avait pas à être motivé, il appartient au Tribunal Suprême de contrôler l’exactitude et la légalité des motifs d’une telle décision ; qu’en réponse aux conclusions tendant à l’annulation des décisions attaquées, le Ministre d’État s’est borné à énoncer dans sa contre-requête que la délivrance d’une première carte de séjour de résident est discrétionnaire ; que par décision du 12 juillet 2022, le Tribunal Suprême a invité le Ministre d’État à produire dans le délai d’un mois à compter de la notification de cette décision tous éléments de nature à lui permettre d’exercer son contrôle de légalité sur les décisions attaquées ; qu’en réponse à cette mesure d’instruction, le Ministre d’État a refusé de communiquer ces éléments au motif que les éléments de moralité relatifs à la requérante sur lesquels sont fondées les décisions attaquées proviennent directement d’informations classifiées communiquées par les services partenaires d’États tiers et sont, par suite, confidentiels ; que, par décision du 7 octobre 2022, le Tribunal Suprême a, en conséquence, prescrit une mesure d’instruction aux fins d’inviter le Ministre d’État à communiquer, dans le délai d’un mois à compter de la notification de cette décision, soit les éléments pouvant être versés au débat contradictoire dans le respect des exigences inhérentes à la sauvegarde des intérêts supérieurs de l’État et étant de nature à permettre au Tribunal Suprême d’apprécier la légalité des décisions attaquées, soit les éléments ou pièces demeurant couverts par le secret de la sécurité nationale à la seule destination des membres de la formation de jugement du Tribunal Suprême, le cas échéant en section administrative et après mise en œuvre des procédures appropriées pour leur permettre d’avoir accès à ces éléments ou pièces ;

8. Considérant qu’il ressort de la procédure que le Ministre d’État n’a pris, dans le délai imparti, aucune mesure de nature à assurer l’exécution de la mesure d’instruction prescrite par le Tribunal Suprême dans sa décision du 7 octobre 2022 ; qu’il n’a produit, dans ce délai, ni nouveau mémoire ni pièce complémentaire ; qu’il n’a pas davantage sollicité du Tribunal Suprême un délai supplémentaire pour prendre les mesures appropriées ; que le Ministre d’État a ainsi fait obstacle à ce que le Tribunal Suprême exerce son contrôle de légalité des décisions attaquées selon des modalités assurant la conciliation entre le secret de la sécurité nationale et le droit à un recours juridictionnel effectif ; que les décisions attaquées ne peuvent, dès lors, qu’être annulées ;

Décide :

Article Premier.

La décision du 24 février 2020 du Directeur de la Sûreté Publique et la décision du 23 novembre 2020 du Conseiller de Gouvernement-Ministre de l’Intérieur sont annulées.

Art. 2.

Les dépens sont mis à la charge de l’État.

Art. 3.

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d’État.

Pour extrait certifié conforme à l’original délivré en exécution de l’article 37 de l’Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963.

Le Greffier en Chef,

V. Sangiorgio.

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