TRIBUNAL SUPRÊME de la Principauté de Monaco - EXTRAIT
Audience du 24 janvier 2025
Lecture du 7 février 2025
Recours tendant, d’une part, à l’annulation de la décision du 6 juin 2023 portant révocation de C.B. de ses fonctions d’Administrateur des Biens de A.Z. et de celle du 9 juin 2023 abrogeant la décision du 8 novembre 2001 l’ayant nommé à ces fonctions et, d’autre part, à la condamnation de A.Z. de Monaco à lui verser une indemnité d’un million d’euros.
En la cause de :
C.B., né le jma à Monaco, de nationalité monégasque, demeurant x1, à Monaco ;
Ayant primitivement élu domicile en l’étude de Maître Sarah FILIPPI, Avocat-défenseur près la Cour d’appel de Monaco, puis en celle de Maître Xavier‑Alexandre BOYER, Avocat-défenseur près la même Cour, et plaidant par Monsieur le Bâtonnier Pierre-Olivier SUR, Avocat au barreau de Paris, substitué par Maître Jérémy GUTKES, Avocat en ce même barreau ;
Contre :
A.Z. de Monaco, ayant pour Avocat-défenseur Maître Thomas GIACCARDI, Avocat-défenseur près la Cour d’appel de Monaco, et plaidant par ledit Avocat-défenseur et par Maître Jean-Michel DARROIS, Avocat au barreau de Paris, substitué par Maître Cyril BONAN, Avocat en ce même barreau ;
LE TRIBUNAL SUPRÊME
Siégeant et délibérant en Assemblée plénière,
Après en avoir délibéré :
Sur la demande de réouverture de l’instruction
1. Considérant qu’aux termes du quatrième alinéa de l’article 30 de l’Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963, modifiée, sur l’organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême : « S’il l’estime nécessaire à une bonne administration de la justice, le Tribunal Suprême peut, soit d’office, soit à la demande de l’une ou l’autre des parties, renvoyer l’examen de l’affaire » ;
2. Considérant que, par mémoire enregistré le 8 octobre 2024, le requérant sollicite la réouverture de l’instruction afin que la Décision Souveraine du 10 décembre 1982 régissant le statut des membres de la DD et du CC, dont il ignorait jusqu’à présent l’existence, soit versée au dossier et fasse l’objet d’un débat contradictoire ; que, toutefois, comme il l’indique lui‑même, cette Décision Souveraine n’a fait l’objet d’aucune publication et, par suite, ne revêt aucun caractère exécutoire dont il pourrait se prévaloir ; qu’en tout état de cause, s’il précise qu’elle comporterait un renvoi à la loi n° 1.049 du 28 juillet 1982 sur les pensions de retraite des fonctionnaires, des magistrats et de certains agents publics, l’article 6 de cette loi qui dispose que « tout agent est admis d’office à cesser toute fonction et à faire valoir ses droits à pensions lorsqu’il atteint l’âge de soixante-cinq ans » aurait nécessairement dû entraîner la fin de ses fonctions le jour de son soixante-cinquième anniversaire ; que, dans ces conditions, il n’y a pas lieu de faire droit à ses conclusions tendant à la réouverture de l’instruction ;
Sur la compétence du Tribunal Suprême
3. Considérant qu’aux termes du A de l’article 90 de la Constitution : « En matière constitutionnelle, le Tribunal Suprême statue souverainement : / (…) 2°) sur les recours en annulation, en appréciation de validité et en indemnité ayant pour objet une atteinte aux libertés et droits consacrés par le Titre III de la Constitution et qui ne sont pas visés au paragraphe B du présent article » ; qu’aux termes du B de ce même article : « En matière administrative, le Tribunal Suprême statue souverainement : / 1°) sur les recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre les décisions des diverses autorités administratives et les Ordonnances Souveraines prises pour l’exécution des lois, ainsi que sur l’octroi des indemnités qui en résultent ; / 2°) sur les recours en cassation formés contre les décisions des juridictions administratives statuant en dernier ressort ; / 3°) sur les recours en interprétation et les recours en appréciation de validité des décisions des diverses autorités administratives et des Ordonnances Souveraines prises pour l’exécution des lois. » ;
4. Considérant qu’en vertu de l’article 46 de la Constitution : « Sont dispensées de la délibération en Conseil de Gouvernement et de la présentation par le Ministre d’État, les Ordonnances Souveraines (…) portant nomination des membres de la Maison souveraine (…) » ; que l’article 32 de l’Ordonnance Souveraine n° 5.344 du 2 juin 2015 portant statuts de la Famille Souveraine prévoit que « la Maison Souveraine se compose des personnes affectées (…) à l’Administration des Biens » et que le quatrième alinéa de l’article 36 de la même Ordonnance Souveraine dispose : « L’Administrateur des Biens du Prince assure la gestion des Biens de la Couronne ainsi que de ceux relevant du patrimoine privé du Prince » ; qu’il résulte de ces dispositions, d’une part, que les membres de la DD participent, sous l’autorité du sp, à l’exercice de la fonction souveraine, par nature distincte de la fonction administrative, et, d’autre part, que les actes portant nomination et révocation des membres de la DD relèvent des pouvoirs propres du sp et ne peuvent être qualifiés de décisions administratives susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation pour excès de pouvoir ; que le Tribunal Suprême est donc incompétent pour en connaître ; qu’il ne pourrait en être autrement que dans la mesure où de tels actes, de caractère individuel, porteraient une atteinte grave aux libertés et droits fondamentaux consacrés par le Titre III de la Constitution ;
5. Considérant que la gestion des Biens de la Couronne ainsi que de ceux relevant du patrimoine privé du sp exige, eu égard à l’importance du rôle de l’Administrateur qui en est chargé et à la nature particulière des responsabilités qui lui incombent, une pleine confiance de la part du Prince ; que, s’il est constant que le requérant a adressé des propos déplacés au sp lors d’une audience en mai 2023, il ne résulte pas de l’instruction qu’en prenant les décisions attaquées, A.Z. de Monaco aurait eu l’intention de le punir ; qu’au demeurant, le requérant indique que a lui aurait précisé qu’aucune sanction ne serait prise à son égard et qu’une sortie honorable lui serait assurée, ce qui s’est d’ailleurs traduit par la diffusion, le 7 juin 2023, d’un communiqué faisant état de sa mise à la retraite ; qu’en revanche, ces propos étaient, à eux seuls, suffisants pour retirer la confiance que a avait placée en lui depuis près de deux décennies ; qu’est sans incidence la circonstance que a a porté plainte à l’issue d’un audit qu’il a diligenté, ce dépôt de plainte étant postérieur aux décisions attaquées ; qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments que les décisions mettant fin aux fonctions d’Administrateur des Biens de C.B. ne procèdent pas, de la part du sp, d’une volonté punitive mais relèvent d’une perte de confiance ;
6. Considérant que, eu égard à leur nature, les décisions attaquées n’emportent aucune atteinte grave aux libertés et droits fondamentaux consacrés par le Titre III de la Constitution et, en particulier, à la sûreté individuelle, qui est proclamée par l’article 19 de la Constitution et qui constitue une garantie contre les arrestations, détentions et pénalités arbitraires, et au principe des droits de la défense, qui, en tout état de cause, ne peut être utilement invoqué contre des décisions qui, comme il a été dit ci‑dessus, ne constituent pas une sanction ayant le caractère d’une punition ; qu’il résulte de ce qui précède qu’en l’absence d’atteinte grave aux libertés et droits invoqués par le requérant, le Tribunal Suprême n’est pas compétent pour statuer sur les conclusions de sa requête tendant à l’annulation de la décision du 6 juin 2023 le révoquant de ses fonctions d’Administrateur des Biens de A.Z. et de celle du 9 juin 2023 abrogeant la décision du 8 novembre 2001 l’ayant nommé à ces fonctions ;
7. Considérant qu’il s’ensuit que, sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée en défense, les conclusions à fin d’annulation présentées par le requérant doivent être rejetées ;
Sur la demande d’indemnité
8. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la demande d’indemnité formulée par le requérant ne peut, en tout état de cause, qu’être rejetée ;
Décide :
Article Premier.
La requête de C.B. est rejetée.
Art. 2.
Les dépens sont mis à la charge de C.B..
Art. 3.
Expédition de la présente décision sera transmise à A.Z. de Monaco.
Pour extrait certifié conforme à l’original délivré en exécution de l’article 37 de l’Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963.
Le Greffier en Chef,
N. Vallauri.