TRIBUNAL SUPRÊME de la Principauté de Monaco - Extrait - Audience du 18 février 2022 - Lecture du 4 mars 2022
Recours en annulation de la loi n° 1.505 du 24 juin 2021 sur l’aménagement concerté du temps de travail.
En la cause de :
L’UNION DES SYNDICATS DE MONACO ;
Ayant élu domicile en l’étude de Maître Joëlle PASTOR BENSA, Avocat-défenseur près la Cour d’appel de Monaco, substituée par Maître Christophe BALLERIO, Avocat-défenseur près la même Cour, et plaidant par Maître Aurélie SOUSTELLE, Avocat au Barreau de Nice ;
Contre :
L’État de Monaco, représenté par le Ministre d’État, ayant pour Avocat-défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, Avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation de France ;
LE TRIBUNAL SUPRÊME
Siégeant et délibérant en assemblée plénière,
…/…
Après en avoir délibéré :
1. Considérant que l’UNION DES SYNDICATS DE MONACO demande, sur le fondement du 2° du A de l’article 90 de la Constitution, l’annulation de la loi du 24 juin 2021 sur l’aménagement concerté du temps de travail ;
Sur le moyen tiré de « la méconnaissance de la hiérarchie des normes en droit du travail »
2. Considérant qu’aucune norme constitutionnelle ne fait obstacle à ce que le législateur renvoie à des conventions collectives ou à des accords d’entreprise la détermination de modalités d’aménagement du temps de travail, sous réserve du respect des droits et libertés garantis par la Constitution ;
3. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que la loi attaquée méconnaîtrait « la hiérarchie des normes en droit du travail » ne peut, en tout état de cause, qu’être écarté ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance de la liberté syndicale
4. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 28 de la Constitution : « Toute personne peut défendre les droits et intérêts de sa profession ou de sa fonction par l’action syndicale » ;
5. Considérant, d’une part, que la loi du 24 juin 2021 habilite, dans les conditions qu’elle précise, une convention collective de travail ou, à défaut, un accord d’entreprise, à répartir la durée du travail sur une période de référence supérieure à la semaine sans toutefois que cette période ne puisse excéder une année ; qu’elle prévoit notamment que la convention collective de travail conclue pour une entreprise ou l’accord d’entreprise signé recueille le vote favorable à la majorité simple des salariés concernés par l’aménagement du temps de travail ;
6. Considérant, d’autre part, que la même loi prévoit que, dans les cas limitativement prévus par le législateur, un accord d’entreprise peut être signé entre, d’une part, un employeur ou son représentant et, d’autre part, les délégués du personnel ou, à défaut, un représentant des salariés spécialement désigné à cet effet ; qu’elle précise que le délégué du personnel et le représentant des salariés peuvent être assistés par tout délégué syndical ; que la loi définit notamment les modalités d’élection du représentant des salariés spécialement désigné ;
7. Considérant, tout d’abord, qu’en permettant que l’aménagement concerté du temps de travail soit autorisé et régi par un accord d’entreprise signé entre, d’une part, un employeur ou son représentant et, d’autre part, les délégués du personnel ou, à défaut, un représentant des salariés spécialement désigné à cet effet, le législateur a entendu faciliter la conclusion d’accords entre employeurs et représentants des salariés et ainsi favoriser la mise en place d’un aménagement concerté du temps de travail, notamment dans les entreprises de taille réduite ; qu’il a ainsi poursuivi un but d’intérêt général ;
8. Considérant, ensuite, qu’il résulte de la loi attaquée qu’un accord d’entreprise ne peut être conclu en vue d’aménager le temps de travail qu’à défaut de convention collective de travail y procédant elle-même ; que, dès lors, un tel accord présente en la matière un caractère subsidiaire par rapport à la convention collective de travail, nationale ou spécifique, signée par un ou plusieurs syndicats ou une fédération de syndicats de salariés, légalement constitués ;
9. Considérant, enfin, qu’il résulte des dispositions attaquées que le délégué du personnel ou le représentant des salariés peut être assisté par tout délégué syndical dans le cadre de la négociation de l’accord d’entreprise ;
10. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les dispositions de la loi attaquée ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté syndicale ;
Sur le moyen tiré de la méconnaissance du droit au respect de la vie privée et familiale
11. Considérant, en premier lieu, qu’en vertu des dispositions du 2° du A de l’article 90 de la Constitution, le Tribunal Suprême n’est compétent pour statuer sur les recours en annulation en matière constitutionnelle que s’ils ont pour objet une atteinte aux droits et libertés consacrés par le titre III de la Constitution ; que, dès lors, il n’appartient pas au Tribunal Suprême d’apprécier la conformité des lois aux conventions internationales auxquelles la Principauté de Monaco est partie ; que l’UNION DES SYNDICATS DE MONACO ne peut ainsi utilement se prévaloir, pour demander l’annulation de la loi qu’elle attaque, de ce qu’elle méconnaîtrait l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
12. Considérant, en second lieu, que l’article 22 de la Constitution dispose : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale et au secret de sa correspondance » ;
13. Considérant que la loi du 24 juin 2021 ajoute des articles 8-1 à 8-7 à l’Ordonnance-loi du 2 décembre 1959 sur la durée du travail ; que ces nouvelles dispositions prévoient que toute convention collective de travail ou tout accord d’entreprise relatif à l’aménagement du temps de travail doit notamment prévoir le nombre d’heures compris dans la période de référence, les amplitudes maximale et minimale hebdomadaires de travail dans l’entreprise sur la période de référence, la contrepartie octroyée aux salariés concernés par l’aménagement du temps de travail ainsi que les conditions et les délais de prévenance en cas de modification de la durée ou de l’horaire de travail ; qu’ainsi qu’il a été dit, l’aménagement du temps de travail résultant de la convention collective de travail ou de l’accord d’entreprise doit être approuvé par la majorité simple des salariés concernés par cet aménagement ;
14. Considérant que les mêmes dispositions précisent que, dans les entreprises ayant mis en place un dispositif d’aménagement du temps de travail sur une période de référence supérieure à la semaine, les salariés doivent être informés, dans un délai qui ne peut être inférieur à quatorze jours calendaires, de tout changement dans la répartition de leur durée de travail ; que les salariés dont le temps de travail est ainsi aménagé doivent bénéficier de l’une au moins des contreparties prévues par la loi, à savoir, d’une part, une rémunération à hauteur de 10 % au moins des heures de travail accomplies au-delà de trente-neuf heures par semaine, ou de la durée considérée comme équivalente, ou de la durée fixée dans le contrat, sans préjudice, le cas échéant, du paiement des heures supplémentaires, et, d’autre part, un temps de récupération crédité sur un compte épargne temps et correspondant à 10 % au moins des heures de travail accomplies au-delà de trente-neuf heures par semaine, ou de la durée considérée comme équivalente, ou de la durée fixée dans le contrat ; que les heures supplémentaires sont, en principe, celles effectuées au-delà d’une durée hebdomadaire moyenne de trente-neuf heures ou de la durée considérée comme équivalente, calculée sur la période de référence ; que le dispositif d’aménagement du temps de travail ne peut avoir pour effet ni d’autoriser une durée de travail supérieure à quarante-huit heures par semaine, ni de porter atteinte aux dispositions légales ou conventionnelles relatives au temps de repos ;
15. Considérant qu’il résulte, enfin, de l’article 4 de la loi attaquée que l’accord d’entreprise relatif à un aménagement du temps de travail est soumis à l’accord préalable du Directeur du travail qui s’assure de sa conformité aux dispositions légales et réglementaires applicables ; que l’Inspection du travail veille ensuite à la bonne application de l’accord d’entreprise ; que l’article 6 de la même loi précise, en outre, que toute clause d’une convention collective ou d’un accord d’entreprise relatif à un aménagement du temps de travail méconnaissant les dispositions de la loi attaquée est nulle et de nul effet ;
16. Considérant d’une part, qu’en adoptant la loi du 24 juin 2021, le législateur a entendu permettre de faire varier le temps de travail en fonction des besoins des entreprises et des exigences de l’activité économique tout en offrant les garanties nécessaires aux salariés concernés ; qu’il a également souhaité adopter un dispositif permettant d’éviter les licenciements économiques résultant, dans certains secteurs économiques, de périodes creuses d’activité induites par la saisonnalité ; qu’il a ainsi poursuivi un but d’intérêt général ;
17. Considérant, d’autre part, qu’il résulte des dispositions attaquées que tout aménagement du temps de travail est négocié par les représentants des salariés et doit recueillir l’accord de la majorité des salariés concernés par cet aménagement ; que les conditions dans lesquelles la durée hebdomadaire de travail peut être aménagée sont précisées dans l’accord conclu, dans le respect de l’encadrement du temps de travail prévu par la loi ; que les salariés sont informés dans un délai raisonnable de tout changement dans la répartition de leur durée de travail ; qu’en cas de dépassement de la durée hebdomadaire de trente-neuf heures, ils bénéficient de contreparties consistant en une compensation salariale ou un temps de récupération supplémentaire ; que la mise en œuvre de l’aménagement du temps de travail ne fait pas obstacle à l’accomplissement et à la rémunération d’heures supplémentaires ; que les services de l’État sont chargés de contrôler l’aménagement du temps de travail par les entreprises ; que les conventions collectives de travail et les accords d’entreprise aménageant le temps de travail peuvent comporter des stipulations plus favorables pour les salariés que les garanties prévues par la loi ;
18. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les dispositions de la loi attaquée ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale ;
19. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que l’UNION DES SYNDICATS DE MONACO n’est pas fondée à demander l’annulation de la loi du 24 juin 2021 sur l’aménagement concerté du temps de travail ; que sa requête doit, par suite, être rejetée ;
Décide :
Article Premier.
La requête de l’UNION DES SYNDICATS DE MONACO est rejetée.
Art. 2.
Les dépens sont mis à la charge de l’UNION DES SYNDICATS DE MONACO.
Art. 3.
Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d’État.
Pour extrait certifié conforme à l’original délivré en exécution de l’article 37 de l’Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963.
Le Greffier en Chef,
V. Sangiorgio.