Hommage aux résistants René Borghini et Esther Poggio.
Le 10 juillet 2017, S.A.S. le Prince Albert II de Monaco, accompagné de Son Aide Camp, le Lcl Philippe Rebaudengo, quitte le Palais princier et Se rend Ruelle Chanoine Georges Franzi, située à Monaco-Ville.
S.A.S. le Prince est accueilli, Place de la Visitation, par S.E. M. Serge Telle, ministre d'État et M. Christophe Steiner, président du Conseil national.
S.A.S. le Prince Se déplace vers la plaque commémorative recouverte d'un voile qui est située vers le milieu de la ruelle et apposée sur le bâtiment du Conseil national de Monaco.
De nombreuses personnalités sont présentes pour assister à la cérémonie en hommage aux résistants René Borghini et Esther Poggio, parmi lesquelles S.Exc. Mgr Bernard Barsi, archevêque de Monaco, S.E. M. Philippe Narmino, directeur des Services judiciaires, Dr Michel-Yves Mourou, président du Conseil de la Couronne, M. Georges Lisimachio, chef de Cabinet de S.A.S. le Prince, S.E. Mme Marine De Carné-Trécesson, ambassadeur de France à Monaco, les conseillers de Gouvernement-ministres, Mme Marie-Pierre Gramaglia, pour l'Équipement, l'Environnement et l'Urbanisme et M. Patrice Cellario, pour l'Intérieur, le vice-président du Conseil national, M. Marc Burini ; les conseillers nationaux, M. Jean-Charles Allavena, M. Daniel Boeri, M. Claude Boisson, M. Thierry Poyet ; les élus communaux, M. Jacques Pastor, représentant le maire de Monaco et M. Henri Doria ; M. Robert Colle, secrétaire général du Gouvernement princier, M. Thomas Fouilleron, directeur des archives et de la bibliothèque du Palais princier ainsi que des cousins de la famille Borghini.
S.A.S. le Prince Se place au pupitre près de la plaque, prononce Son discours et rend un émouvant hommage à René Borghini et Esther Poggio, arrêtés à Monaco en juillet 1944 pour fait de résistance et fusillés le 15 août 1944 à Nice.
« Monsieur le ministre d'État, Monseigneur l'archevêque, Monsieur le président du Conseil national,
Excellence, Mesdames, Messieurs,
Plus de soixante-dix ans se sont passés depuis la mort, sous les balles allemandes, l'après-midi du 15 août 1944, de notre compatriote résistant René Borghini. Il est difficile de dire que sa figure avait été oubliée en Principauté. En effet, chaque année, lors de la cérémonie commémorative de la Libération de Monaco, le 3 septembre, sa tombe familiale est fleurie au cimetière.
Néanmoins, tout n'avait peut-être pas été fait pour pérenniser, dans l'espace public, son nom et lui rendre l'hommage qu'il méritait. C'est pourquoi je sais gré au Conseil national et à mon Gouvernement d'avoir relayé la proposition de placer une plaque mémorielle sur un mur extérieur de la Haute Assemblée, institution dont il était Secrétaire général, comme nous dirions aujourd'hui, au moment de sa tragique disparition.
L'idée n'est pas nouvelle. En effet, dès le 25 mai 1945, un Conseiller national demandait que soit apposée une plaque, à l'intérieur de l'assemblée, alors abritée par la Mairie. Si ce vœu n'a visiblement pas été réalisé, l'immédiat après-guerre a cependant honoré comme il se devait René Borghini.
Le 18 novembre 1944, la Principauté lui a donné des funérailles nationales.
De son côté, la République française l'a fait Chevalier de la Légion d'honneur le 29 août 1945, et lui a attribué, le 10 mai 1946, la qualité de « mort pour la France ». La Croix de guerre avec palme était assortie d'une citation éloquente, je cite : « supporte avec le plus grand courage les tortures que lui infligent les Allemands, sans donner à ses bourreaux un seul renseignement ».
Le 16 janvier 1946, mon arrière-grand-père, le Prince Louis II, lui a accordé, à titre posthume, la Croix de Chevalier de l'Ordre de Saint-Charles.
Le 23 février 1947, lors d'une prise d'armes solennelle sur la Place du Palais, mon père, alors Prince héréditaire et lieutenant dans l'armée française, a remis symboliquement au fils de René Borghini, Georges, pas encore âgé de treize ans, l'insigne de Chevalier de la Légion d'honneur et la Croix de guerre qui avaient été attribués à son père.
Aujourd'hui, alors même que les acteurs et les témoins directs de la Résistance ont quasiment tous rejoint le « monde des limbes », pour reprendre l'expression d'André Malraux, notre devoir est certainement plus grand encore de faire mémoire de leurs hauts faits et de leur esprit.
Qui était donc René Borghini ?
Né à Monaco le 1er janvier 1909, il fait ses études au lycée tout juste voisin, puis à la faculté de droit de Paris. Nommé secrétaire de la présidence du Conseil national le 18 mars 1938, à vingt-neuf ans, il rejoint le réseau de renseignement de la Résistance « Gallia-Reims » en juillet 1943\. Devenu chef d'un secteur allant de Nice à Menton, il est victime d'un agent double, et est arrêté à son domicile à La Condamine, par six policiers de la Gestapo, accompagné d'un agent de la Sûreté publique, le 3 juillet 1944\. Conduit à Nice, il ne parlera pas durant le mois et demi de sa captivité.
J'ai tenu à ce que soit associée à l'hommage qui lui est rendu celle qui était son agent de liaison, Esther Poggio, arrêtée également à Monaco et qui a partagé sa fin tragique.
Née à Toulon le 18 janvier 1912, celle-ci a d'abord été revendeuse de fruits et légumes aux halles municipales de sa ville natale, qui portent, depuis 1955, son nom. Alors que ses parents sont contraints de quitter Toulon au printemps 1942 et ouvrent un restaurant à Menton, elle les rejoint peu après, et assure chez eux le service. Elle intègre le même réseau de renseignement que celui de René Borghini, et devient sa boîte aux lettres sous le pseudonyme de « La marquise ».
Après l'arrestation de Borghini le 3 juillet 1944, la Gestapo n'a de cesse, évidemment, de détruire son réseau. Un piège est tendu pour capturer son agent de liaison.
Comme les fonctionnaires du Conseil national avaient indiqué ne pas vouloir obéir aux instructions de la Gestapo, le ministre d'État et le conseiller de Gouvernement pour l'Intérieur de l'époque placent au Conseil national un brigadier de la Sûreté publique, afin de retenir Esther Poggio lorsqu'elle se présenterait. Prévenu de son arrivée le 7 juillet au matin, le conseiller de Gouvernement envoie un inspecteur rejoindre le brigadier.
Deux agents de la Sûreté publique ont donc, sur ordre de leur hiérarchie, retenu la résistante jusqu'à l'arrivée, au bout de trois quarts d'heure, de la Gestapo. Avant son arrestation par la police allemande, elle a pu, néanmoins, se débarrasser habilement d'un document sensible.
Le 15 août, alors que le débarquement allié en Provence débute, vingt-et-un résistants sont sortis des prisons de Nice. En guise de répression gratuite et aveugle, ils sont fusillés sur un terrain vague de l'Ariane, au bord du Paillon. Parmi eux, René Borghini, trente-cinq ans ; Esther Poggio, trente-deux ans.
Dans le sillage de la démarche de transparence qui a déjà été la mienne, il y a deux ans, à propos de la déportation des juifs, je tenais à dire moi-même, en ce jour d'hommage, la responsabilité que l'Histoire nous donne au regard de la vérité.
Dire ici, publiquement, les circonstances exactes de l'arrestation d'Esther Poggio ne veut pas dire stigmatiser des hommes et céder à la repentance. La période était plus que complexe, la Principauté était occupée militairement par les Nazis, et l'ennemi devenait chaque jour plus pressant.
Mais comme nous mettons en exergue le courage et l'héroïsme, il nous faut aussi reconnaître le zèle coupable de certains membres du Gouvernement de l'époque, que mon père, le Prince Rainier, avait d'ailleurs dénoncé, dès avant la Libération de Monaco le 3 septembre.
Je souhaite que la plaque que je vais dévoiler dans un instant soit le signe du voile définitivement levé sur un temps sombre de notre passé, avec lucidité, sans complaisance, ni parti pris. Parce que cette pierre se trouve dans la proximité immédiate d'établissements scolaires, je souhaite que les noms de René Borghini et d'Esther Poggio soient connus des nouvelles générations, non seulement pour leur destin de martyr, mais aussi pour leur engagement au service de la cause de la liberté, qui est éternelle.
Membres de ce légendaire « peuple de la nuit », pour reprendre une fois encore une expression évocatrice de Malraux, René Borghini et Esther Poggio doivent être, plus que jamais dans notre époque troublée, des figures de lumière qui, ainsi que le disait le président du Conseil national, lors de la cérémonie du 23 février 1947, sont, je le cite, « dans la vie d'un peuple comme des points de repère ».
Je vous remercie. »
Puis, S.A.S. le Prince, accompagné de Mme Michèle Bertola et de M. Roland Borghini, cousins de René Borghini, dévoile la plaque commémorative qui porte l'inscription suivante : « En mémoire de René Borghini, secrétaire de la Présidence du Conseil national et d'Esther Poggio, arrêtés à Monaco pour faits de résistance les 3 et 7 juillet 1944, fusillés le 15 août à l'Ariane à Nice - S.A.S. le Prince Albert II a dévoilé cette plaque le 10 juillet 2017 ».
La sonnerie aux morts retentit et une minute de silence est observée par l'ensemble des personnes présentes.
À l'issue de la cérémonie, les personnalités sont invitées à rejoindre la verrière du Conseil national où des rafraîchissements sont proposés.