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TRIBUNAL SUPRÊME de la Principauté de Monaco -Extrait

  • No. Journal 8495
  • Date of publication 17/07/2020
  • Quality 100%
  • Page no.

Audience du 12 juin 2020
Lecture du 25 juin 2020

Recours en annulation pour excès de pouvoir de la décision du 24 juin 2019 du Directeur des Services Judiciaires portant non-renouvellement du détachement de M. E. L. en qualité de juge au Tribunal de première instance de Monaco pour une période de trois années et de l'Ordonnance Souveraine du 31 juillet 2019 mettant fin à ses fonctions à compter du 1er septembre 2019.
En la cause de :
Monsieur E. L. ;

Ayant élu domicile en l'étude de Maître Sarah FILIPPI, Avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par ledit avocat ;
Contre :
L'État de Monaco représenté par le Directeur des Services Judiciaires, ayant pour Avocat-défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France ;
En présence du Ministre d'État, ayant pour Avocat-défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France ;

LE TRIBUNAL SUPRÊME
Siégeant et délibérant en assemblée plénière,

…/…
Après en avoir délibéré :

1. Considérant que M. E. L., magistrat de l'ordre judiciaire français, a été détaché auprès de la Direction des Services Judiciaires de la Principauté de Monaco pour exercer les fonctions de juge chargé de l'instruction au Tribunal de première instance pour une durée de trois ans à compter du 1er septembre 2016 ; qu'il a sollicité le 30 novembre 2018 le renouvellement de son détachement pour une période de trois ans ; que par courrier du 5 décembre 2018, le Directeur des Services Judiciaires a informé le ministère de la justice français que les autorités monégasques étaient favorables au renouvellement du détachement de M. L. ; que par courrier du 6 mars 2019, le ministère de la justice français a également émis un avis favorable à ce renouvellement ; que le 24 juin 2019, le Directeur des Services Judiciaires a informé M. L. que l'État de Monaco renonçait au renouvellement de son détachement ; que, par une Ordonnance Souveraine n° 7.642 du 31 juillet 2019, il a été mis fin, à compter du 1er septembre 2019, aux fonctions de juge au Tribunal de première instance exercées par M. L., celui-ci étant réintégré dans son administration d'origine à compter de cette date ;

Sur la demande de mise hors de cause du Ministre d'État
2. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires : « Le Directeur des Services Judiciaires représente l'État en justice dans les conditions prévues par la loi, soit en demandant, soit en défendant, pour tout ce qui concerne l'administration de la justice » ;
3. Considérant qu'il y a lieu de faire droit à la demande du Ministre d'État d'être mis hors de cause dans la présente instance ;

Sur les fins de non-recevoir opposées par le Directeur des Services Judiciaires
4. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 3 de la Convention franco-monégasque du 8 novembre 2005 destinée à adapter et à approfondir la coopération administrative entre la République française et la Principauté de Monaco : « Les emplois publics en Principauté reviennent aux ressortissants monégasques. / Par dérogation à ce principe, ils peuvent être occupés par des ressortissants français ou d'États tiers dans les conditions prévues aux alinéas qui suivent, ainsi qu'à l'article 6 de la présente Convention. / Pour ce qui concerne les emplois publics non pourvus par des ressortissants monégasques, la Principauté fait appel en priorité à des ressortissants français, par voie de détachement ou sur contrat. / La Commission de coopération franco-monégasque examine périodiquement les besoins prévisionnels de recrutement correspondants. En cas d'urgence, l'expression de ces besoins, ainsi que la réponse de la Partie française, est faite par la voie diplomatique » ; que l'article 5 de la même Convention stipule : « Les deux Gouvernements se concertent et s'entendent dans le cadre de la Commission de coopération franco-monégasque sur les missions qui pourraient être confiées à des fonctionnaires détachés par l'État français, ainsi que sur les modalités des détachements correspondants, sous réserve des dispositions de l'article 6 ci-après. / Les demandes de détachement de fonctionnaires de l'État français sont faites par la voie diplomatique. Il y est répondu par la même voie. / Sauf stipulations contraires dans des conventions en vigueur entre les deux États, la durée de ces détachements est de trois ans renouvelable une fois. La Commission de coopération franco-monégasque examine les éventuelles dérogations à ce principe. / (…) » ;
5. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1er de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l'administration et à l'organisation judiciaires : « Le Directeur des Services Judiciaires assure la bonne administration de la justice. (…) » ; que l'article 2 de la même loi dispose : « Le Directeur des Services Judiciaires prend tous arrêtés et décisions nécessaires dans le cadre des lois et règlements » ;
6. Considérant, en premier lieu, que la requête de M. L. ne met pas en cause la validité ou la portée de traités internationaux conclus par l'État de Monaco ; qu'elle n'implique pas davantage l'examen des relations diplomatiques entre la Principauté de Monaco et la République française ; que la décision de ne pas renouveler le détachement d'un magistrat français au sein du corps judiciaire monégasque est un acte détachable de la Convention bilatérale du 8 novembre 2005 et qui relève de l'administration intérieure de l'État de Monaco ; que, dès lors, contrairement à ce qui est soutenu, le refus de renouveler le détachement de M. L. a le caractère d'une décision administrative dont le Tribunal Suprême est compétent pour apprécier la légalité ;
7. Considérant, en deuxième lieu, que la position exprimée par le Directeur des Services Judiciaires dans sa lettre du 24 juin 2019 fait obstacle au renouvellement du détachement de M. L. ; que, dès lors, la fin de non-recevoir tirée de ce que la requête serait dirigée contre un avis insusceptible de faire grief ne peut qu'être écartée ;
8. Considérant, en dernier lieu, que l'Ordonnance Souveraine du 31 juillet 2019 met fin, à compter du 1er septembre 2019, aux fonctions de juge au Tribunal de première instance exercées par M. L. ; qu'un tel acte présente le caractère d'une décision faisant grief ; que, par suite, les conclusions à fin d'annulation de l'Ordonnance Souveraine du 31 juillet 2019 sont recevables ;

Sur la légalité des décisions attaquées
9. Considérant qu'il résulte des stipulations et dispositions citées ci-dessus qu'il appartient au Directeur des Services Judiciaires de se prononcer sur le renouvellement du détachement d'un magistrat français dans le corps judiciaire monégasque lorsque ce dernier en fait la demande ; qu'en l'absence de stipulation de la Convention franco-monégasque du 8 novembre 2005 le prescrivant, un magistrat français détaché à Monaco ne peut utilement se prévaloir d'un droit au renouvellement de son détachement ; que le Directeur des Services judiciaires peut refuser le renouvellement du détachement du magistrat dans l'intérêt du service en disposant, à cet égard, d'un large pouvoir d'appréciation ; que les stipulations de la Convention du 8 novembre 2005 ne font pas obstacle à ce que le Directeur des Services Judiciaires, après s'être prononcé favorablement sur la demande de renouvellement de détachement, décide, eu égard aux circonstances, que ce renouvellement doit être refusé ;
10. Considérant, en premier lieu, que, contrairement à ce que soutient M. L., il résulte de ce qui précède qu'en refusant, par sa décision du 24 juin 2019, le renouvellement de son détachement après s'être prononcé favorablement sur sa demande de renouvellement le 5 décembre 2018, le Directeur des Services Judiciaires n'a pas entaché sa décision d'incompétence et n'a pas méconnu les stipulations de la Convention du 8 novembre 2005 ;
11. Considérant, en deuxième lieu, d'une part, que le refus de renouveler un détachement dans le corps judiciaire monégasque n'est pas au nombre des mesures qui ne peuvent légalement intervenir sans que l'intéressé ait été mis à même de présenter des observations ; que, d'autre part, les différentes exigences énoncées par les stipulations de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne sont pas applicables à une mesure administrative de non-renouvellement d'un détachement ; que, dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations est inopérant ;
12. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 88 de la Constitution : « L'indépendance des juges est garantie » ; que l'article 7 de la loi n° 1.364 du 16 novembre 2009 portant statut de la magistrature dispose que « les magistrats du siège sont inamovibles. / En conséquence, le magistrat du siège ne peut recevoir, sans son consentement, une affectation nouvelle, même en avancement » ; que l'article 39 du Code de procédure pénale prévoit que « les juges d'instruction sont choisis parmi les membres du tribunal de première instance et désignés par Ordonnance Souveraine pour trois ans sur présentation du premier président et l'avis du procureur général. / Ils peuvent être renouvelés dans leurs fonctions pour des périodes successives de même durée. Au cours de chacune de ces périodes, l'instruction ne peut leur être retirée que sur leur demande ou sur l'avis conforme de la cour de révision, donné suivant les règles prescrites en matière disciplinaire. / (…) » ;
13. Considérant que M. L. n'avait aucun droit au renouvellement de son détachement ; que, par suite, il n'est pas fondé à soutenir que le non-renouvellement de son détachement porterait atteinte aux principes d'inamovibilité et d'indépendance des magistrats du siège ; que les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 88 de la Constitution, de l'article 7 de la loi du 16 novembre 2009 portant statut de la magistrature et, en tout état de cause, de l'article 39 du Code de procédure pénale ne peuvent donc qu'être écartés ;
14. Considérant, en quatrième lieu, que le Directeur des Services Judiciaires fait valoir que le refus de renouvellement du détachement de M. L. dans le corps judiciaire monégasque est justifié, d'une part, par les relations difficiles de l'intéressé avec des membres du Parquet général et de la Sûreté publique et, d'autre part, par la volonté de nommer deux nouveaux magistrats instructeurs dans le cadre de la création, décidée en janvier 2019, d'un service de l'instruction doté de trois cabinets ;
15. Considérant, d'une part, que la circonstance que la motivation du refus de renouvellement du détachement de M. L. est pour partie liée à ses relations avec des membres du Parquet général et de la Sûreté publique n'est pas, par elle-même, de nature à conférer à cette mesure un caractère disciplinaire ;
16. Considérant, d'autre part, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le Directeur des Services Judiciaires se serait fondé sur des motifs étrangers à l'intérêt du service ou aurait entaché d'une erreur manifeste l'appréciation à laquelle il s'est livré de cet intérêt à la date de la décision attaquée ; que le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi ;
17. Considérant, en dernier lieu, que pour les motifs précédemment énoncés, l'Ordonnance Souveraine du 31 juillet 2019, qui se borne à tirer les conséquences de l'absence de renouvellement du détachement de M. L. et de la fin de ce détachement le 31 août 2019, n'est pas entachée d'illégalité ;
18. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. L. n'est pas fondé à demander l'annulation des décisions qu'il attaque ;

Sur la demande indemnitaire
19. Considérant qu'il résulte du rejet par la présente décision des conclusions à fin d'annulation présentées par M. L. que sa demande indemnitaire ne peut qu'être rejetée ;
Décide :

Article Premier.

Le Ministre d'État est mis hors de cause.

Art. 2.

La requête de Monsieur E. L. est rejetée.

Art. 3.

Les dépens sont mis à la charge de Monsieur L.

Art. 4.

Expédition de la présente décision sera transmise au Directeur des Services Judiciaires et au Ministre d'État.
Pour extrait certifié conforme à l'original délivré en exécution de l'article 37 de l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963.

Le Greffier en Chef,
V. SANGIORGIO.

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