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TRIBUNAL SUPRÊME de la Principauté de Monaco - Extrait

  • No. Journal 8495
  • Date of publication 17/07/2020
  • Quality 100%
  • Page no.

Audience du 12 juin 2020
Lecture du 25 juin 2020

Recours tendant, d'une part, à l'annulation, pour excès de pouvoir et pour atteinte aux libertés et droits consacrés par la Constitution, de la décision du 11 juillet 2017 par laquelle le Ministre d'État a rejeté la demande de la S.A.M. CAROLI IMMO tendant à ce qu'il présente au Conseil national le projet de loi de désaffectation prévu par le protocole du 5 septembre 2014 signé entre l'État et la société, la décision implicite de rejet du recours gracieux formé contre cette décision et l'ensemble des actes et décisions caractérisant le retrait de la signature de l'État, d'autre part, à la condamnation de l'État à réparer le préjudice résultant de l'ensemble de ces actes et décisions.
En la cause de :
La société anonyme monégasque (S.A.M.) CAROLI IMMO, anciennement SOCIETE MONEGASQUE D'ETUDES ET DE GESTION IMMOBILIERES (SAMEGI) GROUPE CAROLI, dont le siège social est au 27, boulevard d'Italie à Monaco, prise en la personne de son président délégué en exercice, domicilié ès-qualités audit siège ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Arnaud ZABALDANO, Avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître François-Henri BRIARD, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France ;
En présence de Monsieur F. G., né le …, de nationalité …, demeurant …, intervenant volontaire au soutien de la requête de la S.A.M. CAROLI IMMO ;
Ayant élu domicile en l'étude de Monsieur le Bâtonnier Régis BERGONZI, Avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Jean-Marie BURGUBURU, Avocat au barreau de Paris ;
Contre :
L'État de Monaco représenté par le Ministre d'État, ayant pour Avocat-défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France.

LE TRIBUNAL SUPRÊME
Siégeant et délibérant en assemblée plénière,

…/…
Après en avoir délibéré :

1. Considérant que par une décision du 29 novembre 2018, le Tribunal Suprême a, en premier lieu, rejeté comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître les conclusions dirigées contre la décision de refus de déposer un projet de loi de désaffectation et les conclusions fondées sur le A de l'article 90 de la Constitution et dirigées contre la décision de retrait de la signature de l'État, en deuxième lieu, déclaré illégale la décision de retrait de la signature de l'État, en troisième lieu, invité les parties à présenter, avant le 1er septembre 2019, leurs observations sur les effets de l'annulation susceptible d'être prononcée et, en dernier lieu, ordonné une expertise, dans les conditions définies dans les motifs de cette décision, tendant à l'évaluation de la réalité et du montant des différents préjudices allégués par la société CAROLI IMMO ;

Sur l'intervention de Monsieur F.G.
2. Considérant que Monsieur F.G. justifie, en sa qualité de signataire du protocole d'accord du 5 septembre 2014, d'un intérêt suffisant à l'annulation de la décision de retrait de la signature de l'État de ce protocole ; qu'ainsi, son intervention au soutien du recours en annulation formé par la S.A.M. CAROLI IMMO est recevable ;
3. Considérant, en revanche, que l'intervenant n'est pas recevable à présenter des conclusions étrangères à celles des parties ; que le Ministre d'État est ainsi fondé à soutenir que sont irrecevables les conclusions présentées par M. G. tendant à la condamnation de l'État à réparer le préjudice qu'il estime avoir subi du fait de la décision de retrait de la signature de l'État et, en tout état de cause, à la désignation d'un médiateur et à ce qu'il soit enjoint aux parties de participer à une médiation ;

Sur les conclusions d'annulation
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le Ministre d'État n'a pas expressément invoqué, dans ses écritures antérieures à la décision du Tribunal Suprême du 29 novembre 2018, la caducité du protocole d'accord du 5 septembre 2014 ; qu'il fait valoir pour la première fois, dans le cadre de la présente instance, que la S.A.M. CAROLI IMMO n'ayant pas été en mesure de présenter dans le délai contractuel les schémas d'aménagement, le protocole d'accord était caduc et l'État n'avait pas l'obligation de poursuivre la résolution judiciaire du protocole d'accord, ni même de mettre en demeure la S.A.M. CAROLI IMMO ; que, toutefois, l'État ne s'est pas prévalu de la caducité du protocole d'accord pour mettre fin à la relation contractuelle ; qu'ainsi que le Tribunal Suprême l'a relevé dans sa décision du 29 novembre 2018, l'État a poursuivi cette relation contractuelle pendant de nombreux mois ; que la caducité du protocole d'accord n'a pas davantage été constatée par le juge du contrat ; que dès lors, le Ministre d'État n'est pas fondé à soutenir, par des allégations qui tendent à remettre en cause la chose jugée par le Tribunal Suprême, que la caducité du protocole d'accord ferait obstacle à l'annulation de la décision de retrait de la signature de l'État ;
5. Considérant que, par sa décision du 29 novembre 2018, le Tribunal Suprême a jugé que la décision de retrait de la signature de l'État a été prise en méconnaissance du droit de propriété et du principe de sécurité juridique garantis par la Constitution ; qu'aucun autre moyen d'illégalité soulevé par la S.A.M. CAROLI IMMO n'était susceptible de fonder l'annulation de la décision attaquée ; que l'annulation de cette décision aurait pour effet de replacer les parties dans la relation contractuelle ; qu'il ressort toutefois des observations qu'elles ont présentées suite à la mesure d'instruction ordonnée par le Tribunal Suprême qu'aucune des parties n'entend être replacée dans la relation contractuelle à compter de l'annulation de la décision attaquée afin d'assurer, le cas échéant après les adaptations nécessaires, la réalisation du projet culturel et immobilier de l'Esplanade des pêcheurs ; que cette circonstance est de nature à faire définitivement obstacle à l'exécution du protocole d'accord du 5 septembre 2014 ; qu'ainsi, une annulation de la décision attaquée serait, dans les circonstances particulières de l'espèce, dépourvue de tout effet utile ; que, dès lors, eu égard aux intérêts publics et privés en présence tels qu'énoncés par les parties dans leurs écritures, il n'y a pas lieu de prononcer l'annulation de la décision du Ministre d'État déclarée illégale ; qu'eu égard à la nature de l'illégalité commise, sa pleine réparation est assurée par l'octroi d'une indemnité à la société requérante ;

Sur les conclusions de la S.A.M. CAROLI IMMO tendant à ce que des pièces soient écartées des débats
6. Considérant, d'une part, qu'il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce qu'elle soutient, la S.A.M. CAROLI IMMO a présenté des observations sur la question du TV Compound préalablement à la remise du second rapport de M. P., sapiteur ; qu'elle a également adressé à l'Expert le 21 octobre 2019 des observations sur le contenu du rapport de M. P. ; que ces observations sont annexées au rapport d'expertise ; que dès lors, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le rapport de M. P. et ses conclusions reprises dans le rapport de l'Expert auraient été établis en méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure d'expertise ;
7. Considérant, d'autre part, que la mission confiée à M. P. était d'évaluer la faisabilité technique du projet immobilier ainsi que ses perspectives d'aboutissement compte tenu notamment des contraintes techniques liées au déroulement des Grands Prix de Monaco ; qu'une telle mission impliquait d'examiner les schémas d'aménagement successivement proposés par la société requérante à l'État ; qu'en se prononçant sur cette question de fait, le rapport de M. P. est demeuré dans le champ de l'expertise demandée par le Tribunal Suprême ;
8. Considérant, enfin, que la société requérante demande que les rapports et documents produits par la société S.E. à la demande de l'État soient écartés des débats dès lors que cette société n'a pas été agréée en qualité d'expert de partie et que M. N. a méconnu l'obligation, énoncée par l'article 351 du Code de procédure civile, de remplir personnellement sa mission ; que, toutefois, ces documents et rapports sont signés par M. N., président de la société S.E., en sa qualité d'expert désigné par l'État ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que M. N. n'aurait pas rempli personnellement sa mission ; que, par suite, une méconnaissance de l'article 351 du Code de procédure civile doit, en tout état de cause, être écartée ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la S.A.M. CAROLI IMMO n'est pas fondée à demander que les pièces mentionnées ci-dessus soient écartées des débats ;

Sur les conclusions indemnitaires
10. Considérant, en premier lieu, que, conformément à l'article 90 de la Constitution, la S.A.M. CAROLI IMMO a formé un recours en annulation pour excès de pouvoir contre une décision administrative et l'a accompagné de conclusions indemnitaires ; que la société, invitée par le Tribunal  Suprême à se prononcer sur les effets de l'annulation susceptible d'être prononcée, a estimé qu'il pouvait se borner à constater l'illégalité de la décision attaquée ; que cette circonstance n'est pas de nature à modifier la nature du litige porté devant le Tribunal Suprême ; que la société n'a pas renoncé à ses conclusions à fin d'annulation ; qu'ainsi, le Ministre d'État n'est pas fondé à soutenir que les conclusions indemnitaires de la S.A.M. CAROLI IMMO seraient devenues irrecevables ;
11. Considérant, en deuxième lieu, qu'aucune disposition ne permet au Tribunal Suprême de condamner au paiement de frais irrépétibles ; que la demande de la S.A.M. CAROLI IMMO tendant à ce que l'État l'indemnise des frais irrépétibles engagés au titre de la présente instance ne peut donc qu'être rejetée ;
12. Considérant, en troisième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier et notamment du rapport de l'Expert que la S.A.M. CAROLI IMMO ne justifie pas du caractère réel et certain des préjudices qu'elle invoque tenant à la perte du bénéfice commercial généré par l'exploitation du Centre de l'Homme et de la Mer, à la perte de chance de développer de nouveaux programmes et à l'atteinte à son image ;
13\. Considérant, en quatrième lieu, que le retrait illégal de la signature de l'État du protocole d'accord du 5 septembre 2014 portait normalement en lui les dommages résultant, pour la S.A.M. CAROLI IMMO, de l'impossibilité de réaliser le projet immobilier ; que, dès lors, le Ministre d'État n'est pas fondé à soutenir que le lien de causalité entre le retrait de la signature de l'État et les dommages invoqués par la société ne serait pas établi ;
14. Considérant, en cinquième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier et notamment du rapport de l'Expert que les frais de montage du dossier et les frais de gestion s'élèvent à la somme globale de 4.677.000 euros ;
15\. Considérant, en sixième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier et notamment du rapport de l'Expert que le bénéfice attendu de l'opération s'élevait à 264.630.000 euros ; que si le préjudice éventuel n'est pas indemnisable, il n'en est pas de même de la certitude de la perte d'une chance ; que compte tenu des aléas résultant des contraintes techniques croissantes imposées par les instances internationales pour assurer l'organisation et la retransmission télévisuelle des Grands Prix automobiles, du vote par le Conseil national d'une loi de désaffectation, de l'obtention de l'autorisation administrative de construire et de la prise en compte de l'ensemble des exigences de sécurité et de protection de l'environnement, il sera fait une juste appréciation du préjudice subi à raison de la perte de chance de réaliser le projet immobilier et d'en tirer les bénéfices en fixant le montant de l'indemnité à 132.315.000 euros ;
16. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'État doit être condamné à verser à la S.A.M. CAROLI IMMO la somme de 136.992.000 euros ; que cette somme sera majorée des intérêts légaux capitalisés à compter du 23 février 2018 ;

Sur les conclusions tendant à la suppression de passages injurieux ou diffamatoires
17. Considérant que, en vertu de l'article 23 de la loi n° 1.047 du 28 juillet 1982 sur l'exercice des professions d'avocat-défenseur et d'avocat, le Tribunal Suprême peut ordonner la suppression des passages injurieux ou diffamatoires contenus dans les écrits des représentants des parties ; que la mise en cause personnelle des parties n'est pas exigée par la cause puisque celle-ci relève du contentieux objectif de la légalité de l'acte administratif ; que, dès lors, doivent être supprimés les passages injurieux ou diffamatoires du dernier paragraphe de la page 2 et du deuxième paragraphe de la page 3 du mémoire de la S.A.M. CAROLI IMMO enregistré le 30 janvier 2020 ;
Décide :

Article Premier.

L'intervention de Monsieur F.G. est admise.

Art. 2.

Les conclusions présentées par Monsieur G. tendant à la désignation d'un médiateur, à ce qu'il soit enjoint aux parties de participer à une médiation et à la condamnation de l'État à réparer le préjudice qu'il estime avoir subi du fait de la décision de retrait de la signature de l'État sont rejetées.

Art. 3.

Il n'y a pas lieu d'écarter des débats le second rapport de M. P., sapiteur, et les rapports de l'expert de l'État.

Art. 4.

L'État est condamné à verser à la S.A.M. CAROLI IMMO une somme de 136.992.000 euros majorée des intérêts légaux capitalisés à compter du 23 février 2018.

Art. 5.

Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Art. 6.

Les passages injurieux ou diffamatoires du dernier paragraphe de la page 2 et du deuxième paragraphe de la page 3 du mémoire de la S.A.M. CAROLI IMMO enregistré le 30 janvier 2020 sont supprimés.

Art. 7.

Les dépens sont mis à la charge de l'État.

Art. 8.

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.
Pour extrait certifié conforme à l'original délivré en exécution de l'article 37 de l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963\.

Le Greffier en Chef,
V. SANGIORGIO.

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