TRIBUNAL SUPRÊME de la Principauté de Monaco -Extrait - Audience du 17 mai 2022 - Lecture du 31 mai 2022
Recours en annulation de la loi n° 1.509 du 20 septembre 2021 relative à l'obligation vaccinale contre la COVID-19 de certaines catégories de personnes.
En la cause de :
L'UNION DES SYNDICATS DE MONACO ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Richard MULLOT, Avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Aurélie SOUSTELLE, Avocat au barreau de Nice ;
Contre :
L'État de Monaco, représenté par le Ministre d'État, ayant pour Avocat-défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France ;
LE TRIBUNAL SUPRÊME
Siégeant et délibérant en assemblée plénière,
... / ...
Après en avoir délibéré :
1. Considérant que l'UNION DES SYNDICATS DE MONACO demande, sur le fondement du 2° du A de l'article 90 de la Constitution, l'annulation de la loi du 20 septembre 2021 relative à l'obligation vaccinale contre la COVID-19 de certaines catégories de personnes ;
2. Considérant que l'article 22 de la Constitution dispose : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale et au secret de sa correspondance » ; que le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par la Constitution implique de ne pas soumettre une personne à des mesures méconnaissant sa liberté personnelle ou affectant, de manière injustifiée ou contraire à sa volonté, son intégrité physique ; qu'il est loisible au législateur d'apporter à ce droit des limitations justifiées par l'intérêt général à la condition qu'il n'en résulte pas une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi ;
3. Considérant, tout d'abord, que la loi du 20 septembre 2021 soumet à une obligation vaccinale contre la COVID-19 un ensemble de catégories de personnes, notamment les personnels des établissements de soins ou de santé, ceux des établissements, services ou organismes ayant pour mission spécifique d'accueillir, d'encadrer ou d'héberger des personnes âgées d'au moins soixante ans, des personnes dépendantes ou des personnes handicapées, ainsi que les professionnels exerçant une activité d'aide à domicile auprès de ces personnes, les personnes exerçant la profession de médecin, chirurgien-dentiste, sage-femme, pharmacien ou préparateur en pharmacie, auxiliaire médical ou ostéopathe ainsi que les personnels non soignants exerçant auprès de ces dernières lorsqu'ils sont en contact direct avec les patients, les militaires du corps des sapeurs-pompiers ainsi que les personnes assurant une activité de transport sanitaire ; que l'obligation vaccinale est respectée lorsque la personne justifie d'un schéma vaccinal complet au moyen du justificatif approprié ; que sont toutefois dispensées de l'obligation vaccinale les personnes qui présentent soit un certificat de confirmation de contre-indication médicale à la vaccination contre la COVID-19 délivré par un comité de médecins sur la base d'un certificat médical précisant et justifiant une contre-indication à cette vaccination temporaire ou définitive, soit un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par le virus SARS-CoV-2 en cours de validité ; que les personnes titulaires d'un certificat de confirmation de contre-indication médicale à la vaccination contre la COVID-19 doivent observer des mesures sanitaires renforcées prévues par arrêté ministériel, peuvent, avec leur accord, être affectées temporairement sur un autre poste et, lorsqu'elles exercent à titre libéral ou indépendant, doivent informer leurs patients ou leurs clients de leur contre-indication médicale à la vaccination contre la COVID-19 ; qu'en vertu de la loi attaquée, l'obligation vaccinale contre la COVID-19 est applicable pendant une durée de dix‑huit mois suivant l'entrée en vigueur de la loi, prévue le 30 octobre 2021, et prend fin de manière anticipée dès lors que les mesures exceptionnelles de lutte contre l'épidémie de COVID-19 relatives à la mise en quarantaine ou à l'isolement des personnes prises par le Ministre d'État, prévues par la décision ministérielle du 24 février 2020, modifiée, cessent de produire effet ;
4. Considérant, ensuite, qu'en vertu de la loi attaquée, toute personne soumise à l'obligation vaccinale contre la COVID-19 est tenue d'informer son employeur, dans les sept jours de la demande de celui-ci, du fait qu'elle y a satisfait ou n'y est pas soumise en justifiant, le cas échéant, de son schéma vaccinal complet ou de l'une des dispenses légales ; que lorsqu'elle ne souhaite pas transmettre elle-même ces informations à son employeur ou au directeur de la structure au sein de laquelle elle exerce sans y être employée, la même loi ouvre la faculté à la personne concernée de transmettre le document attestant qu'elle a effectué un schéma vaccinal complet, le certificat de rétablissement ou le certificat de contre indication, selon le cas, à l'Office de la Médecine du Travail ou au Directeur de l'Action Sanitaire, qui informe l'employeur, sans délai, de la satisfaction de l'obligation vaccinale telle que définie par la loi ;
5 Considérant, enfin, que lorsqu'une personne soumise à l'obligation vaccinale ne justifie pas de son respect, elle est, par l'effet de la loi attaquée, suspendue de ses fonctions ; que son employeur lui notifie cette suspension légale par tout moyen et, lorsque cette suspension se prolonge pendant plus d'une semaine, la convoque à un entretien afin d'examiner avec elle sa situation ; que lorsque la personne exerce son activité professionnelle à titre libéral ou indépendant, elle fait l'objet d'une suspension administrative de son activité ; que la loi attaquée prévoit que la rémunération de la personne salariée est maintenue à cinquante pour cent durant les quatre premières semaines de la suspension ; que les sommes versées pour le paiement de la rémunération ainsi maintenue et des cotisations sociales y afférentes sont remboursées à l'employeur par l'État ; qu'à l'expiration de la période de quatre semaines, aucune rémunération n'est maintenue ; qu'en revanche, la suspension n'emporte pas, pendant les douze premières semaines de suspension, la suspension des prestations en nature de l'assurance maladie, des prestations familiales, des avantages sociaux, des allocations ou des pensions auxquels la personne ouvre droit, pour elle-même et ses ayants droits, à la date de sa suspension ; que, pendant les quatre premières semaines de suspension, aucun licenciement ne peut être prononcé en raison de l'incapacité à occuper le poste de travail du fait du non-respect de l'obligation vaccinale ; qu'à l'expiration de ce délai et jusqu'à l'expiration d'un délai de douze semaines de suspension, l'employeur peut, sauf si la personne s'y oppose, selon les cas, soit prononcer son licenciement, sans préavis, à la condition qu'il soit dans l'impossibilité de lui proposer un autre poste, soit prononcer sa mutation d'office dans un poste qui n'est pas soumis à l'obligation vaccinale ou, à défaut, sa mise à la retraite lorsque ses droits à la retraite sont ouverts ; qu'en cas de licenciement, le paiement de l'indemnité de congédiement est remboursé à l'employeur par l'État ; que lorsque la suspension se prolonge au-delà de douze semaines, en l'absence de dispositions spécifiques prévues par la loi attaquée, sont applicables les dispositions générales régissant le licenciement et la démission des personnes concernées ; que la suspension prend fin de plein droit lorsque la personne justifie du respect de l'obligation vaccinale telle que définie par la loi attaquée ; que la loi interdit que soit prononcée une sanction disciplinaire fondée sur une absence de vaccination contre la COVID-19 ;
6. Considérant, en premier lieu, qu'en instituant une obligation vaccinale à l'égard des professionnels énumérés ci-dessus à compter du 30 octobre 2021, le législateur a entendu, dans un contexte de progression rapide de l'épidémie de COVID-19 accompagné de l'émergence de nouveaux variants plus contagieux et compte tenu d'un niveau encore incomplet de couverture vaccinale de certains professionnels de santé, d'une part, protéger les personnes qu'ils prennent en charge et qui, eu égard à leur âge, leur état de santé ou leur handicap, sont particulièrement vulnérables et exposées, en cas de contamination, aux formes les plus graves de la maladie et, d'autre part, garantir la continuité de la prise en charge de ces personnes et le bon fonctionnement des établissements de santé ou de soins ; qu'il a ainsi poursuivi un but d'intérêt général ;
7. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des écritures du Ministre d'État que le législateur s'est fondé sur des études scientifiques attestant que la vaccination contre la COVID-19 réduit de manière considérable le risque de développer des symptômes graves et permet de limiter les risques de contamination ; qu'ainsi, compte tenu de l'évolution de la situation épidémiologique et en l'état des connaissances scientifiques et médicales disponibles, l'institution, par la loi du 20 septembre 2021, d'une obligation de vaccination contre la COVID-19 des personnels de santé et assimilés ne peut être regardée comme inadéquate ;
8. Considérant, en troisième lieu, que le législateur a défini de manière limitative les catégories de professionnels soumises à l'obligation vaccinale en se fondant sur les risques particuliers liés à leur activité dans le contexte d'une crise sanitaire majeure ; qu'il a expressément dispensé de cette obligation les personnes qui justifient d'une contre indication médicale ainsi que les personnes disposant d'un certificat de rétablissement pendant sa durée de validité ; que l'obligation vaccinale est, en outre, strictement limitée dans le temps ;
9. Considérant, en quatrième lieu, que ne peuvent être administrés à Monaco que des vaccins qui ont reçu une autorisation de mise sur le marché conformément aux dispositions de l'Ordonnance Souveraine n° 15.712 du 3 mars 2003 relative à la mise sur le marché des médicaments à usage humain ; qu'il ressort des pièces du dossier que les vaccins contre la COVID-19 autorisés par le Gouvernement Princier font l'objet d'une autorisation de mise sur le marché par l'Agence européenne du médicament ; que si cette autorisation est conditionnelle, la requérante n'est pas fondée à soutenir que les vaccins utilisés constitueraient des médicaments expérimentaux et que la vaccination obligatoire aurait le caractère d'un essai clinique ; qu'en effet, si les délais d'instruction sont réduits, une autorisation de mise sur le marché conditionnelle ne peut être accordée que si les bénéfices l'emportent sur les risques ; qu'il ressort des pièces du dossier qu'en l'état des connaissances scientifiques, la vaccination contre la COVID-19 n'est susceptible de provoquer, sauf dans des cas très rares, que des effets indésirables mineurs et temporaires ; que les autorités compétentes, notamment l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, compétente en Principauté en application des dispositions de l'Ordonnance Souveraine n° 15.712 du 3 mars 2003, sont chargées de réaliser une évaluation continue de la sécurité des vaccins contre la COVID-19 ;
10. Considérant, en outre, qu'il n'est pas contesté que les personnes concernées ont accès aux données médicales et scientifiques disponibles sur les vaccins contre la COVID-19, leur efficacité et leurs éventuels effets secondaires ;
11. Considérant, en cinquième lieu, d'une part, que les dispositions critiquées n'imposent pas que le motif de contre-indication à la vaccination contre la COVID-19 soit précisé sur le certificat de contre-indication remis à l'employeur ou au directeur de la structure au sein de laquelle la personne exerce ; que, d'autre part, l'information communiquée par l'Office de la Médecine du Travail ou le Directeur de l'Action Sanitaire ne doit pas préciser si la personne concernée dispose d'un schéma vaccinal complet ou d'un certificat de rétablissement ; que dans ce dernier cas, il appartient à l'Office de la Médecine du Travail ou au Directeur de l'Action Sanitaire de s'assurer du respect par la personne concernée de l'obligation vaccinale à l'issue de la période de validité du certificat et, le cas échéant, d'informer l'employeur ou le directeur de la structure au sein de laquelle elle exerce du non-respect de cette obligation ;
12. Considérant, en sixième lieu, que la loi attaquée n'a ni pour objet ni pour effet de contraindre les personnes concernées à subir de force un acte médical ; que la loi prévoit, alors même qu'elles ne satisfont pas à une exigence requise pour l'exercice de leur profession, que les personnes qui refusent de se faire vacciner contre la COVID-19 sont suspendues de leurs fonctions et qu'elles ne peuvent être licenciées sans leur accord avant l'expiration d'un délai de douze semaines de suspension ; qu'une telle suspension présente un caractère préventif et non répressif ; que le législateur a, par ailleurs, pris en compte les conséquences de la suspension sur la situation matérielle du salarié en prévoyant le maintien de la moitié de sa rémunération durant les quatre premières semaines et le bénéfice des prestations sociales pendant les douze premières semaines de suspension ; qu'en outre, l'employeur ne peut licencier un salarié refusant la vaccination contre la COVID-19 que s'il établit, sous le contrôle du juge, être dans l'impossibilité de lui proposer un autre poste ; qu'en prévoyant, enfin, que le salarié peut être licencié avec son accord à l'expiration d'un délai de quatre semaines et jusqu'à l'expiration d'un délai de douze semaines, que ce licenciement n'est pas assorti d'un préavis et que le paiement de l'indemnité de congédiement est remboursé à l'employeur, le législateur a entendu permettre au salarié qui ne souhaite pas se faire vacciner de ne pas demeurer durablement sans rémunération et, à défaut de pouvoir de nouveau occuper son poste, de bénéficier de l'indemnisation du chômage pendant la période de recherche d'un nouvel emploi ;
13. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions de la loi du 20 septembre 2021 apportent au droit au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées une restriction qui est, dans les circonstances exceptionnelles de la pandémie de COVID-19, justifiée par les besoins de protection de la santé publique et qui n'est pas disproportionnée au but poursuivi ; que dès lors, l'UNION DES SYNDICATS DE MONACO n'est pas fondée à en demander l'annulation ;
Décide :
Article Premier.
Sous la réserve énoncée au considérant n° 11, la requête de l'UNION DES SYNDICATS DE MONACO est rejetée.
Art. 2.
Les dépens sont mis à la charge de l'UNION DES SYNDICATS DE MONACO.
Art. 3.
Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.
Pour extrait certifié conforme à l'original délivré en exécution de l'article 37 de l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963.
Le Greffier en Chef,
V. SANGIORGIO.