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TRIBUNAL SUPRÊME de la Principauté de Monaco -Extrait - Audience du 17 mai 2022 - Lecture du 31 mai 2022

  • No. Journal 8595
  • Date of publication 17/06/2022
  • Quality 100%
  • Page no.

Recours en annulation de la loi n° 1.507 du 5 juillet 2021 portant création de l'allocation compensatoire de loyer pour les locaux régis par la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000, modifiée.
En la cause de :
L'ASSOCIATION DES PROPRIETAIRES DE MONACO ;
Ayant élu domicile en l'étude de Maître Arnaud ZABALDANO, Avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par la SARL Cabinet BRIARD, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation ;
Contre :
L'État de Monaco représenté par le Ministre d'État, ayant pour Avocat-défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France.
LE TRIBUNAL SUPRÊME
Siégeant et délibérant en assemblée plénière,
... / ...
Après en avoir délibéré :
1. Considérant que l'ASSOCIATION DES PROPRIETAIRES DE MONACO demande, sur le fondement du 2° du A de l'article 90 de la Constitution, l'annulation de la loi n° 1.507 du 5 juillet 2021 portant création de l'allocation compensatoire de loyer pour les locaux régis par la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000, modifiée ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par le Ministre d'État
2. Considérant que l'ASSOCIATION DES PROPRIETAIRES DE MONACO  a produit, à l'appui de sa réplique, ses statuts et la décision de son bureau autorisant son président à initier devant le Tribunal Suprême un recours tendant à l'annulation de la loi du 5 juillet 2021 ; qu'il ressort de ces pièces que l'association requérante a qualité pour agir ; que par suite, la fin de non-recevoir opposée par le Ministre d'État doit être écartée ;
Sur les conclusions de la requête
3. Considérant que dans le but de permettre aux Monégasques et aux personnes ayant des liens particuliers avec la Principauté de se loger à Monaco, la loi n° 1.235 du 28 décembre 2000, modifiée, relative aux conditions de location de certains locaux à usage d'habitation construits ou achevés avant le 1er septembre 1947 a notamment pour objet, d'une part, d'imposer aux propriétaires de déclarer leurs biens vacants et de les offrir à la location et, d'autre part, d'encadrer le choix du locataire en faveur des personnes protégées dans l'ordre de priorité fixé par la loi, le montant des loyers ainsi que les conditions de renouvellement du bail et d'exercice, par le propriétaire, de son droit de reprise ; que le législateur n'a pas entendu prévoir une indemnisation des préjudices résultant des restrictions apportées par cette loi à l'exercice du droit de propriété, les propriétaires subissant un préjudice anormal et spécial pouvant en demander réparation sur le fondement du principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques ; que la loi attaquée, en instituant une allocation compensatoire de loyer, n'a pas pour objet d'indemniser les restrictions au droit de propriété résultant, pour l'ensemble des propriétaires concernés, de l'application de la loi du 28 décembre 2000 mais est destinée, ainsi que l'énonce l'exposé des motifs du projet de loi, à inciter « les petits propriétaires » « en complément des aides existantes à améliorer leurs biens » et « à leur permettre de disposer, sur le long terme, d'un complément de revenus » ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance du droit de propriété
4. Considérant qu'aux termes de l'article 24 de la Constitution : « La propriété est inviolable. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique légalement constatée et moyennant une juste indemnité, établie et versée dans les conditions prévues par la loi ».
5. Considérant, en premier lieu, que l'allocation compensatoire de loyer n'ayant pas le caractère d'une indemnité mais d'une aide économique, le moyen tiré de ce que les dispositions déterminant les bénéficiaires et le montant de cette aide méconnaîtraient le droit de propriété garanti par la Constitution est inopérant et ne peut, dès lors, qu'être écarté ;
6. Considérant, en second lieu, que loi attaquée prévoit que, pour bénéficier de l'allocation compensatoire de loyer, le propriétaire doit justifier que l'ensemble des locaux, régis par la loi du 28 décembre 2000, qu'il possède sont, sauf exceptions prévues par la même loi, loués au jour de la demande ; que cette obligation répond à l'objectif d'intérêt général de réduction des logements vacants au profit des Monégasques et des autres personnes bénéficiaires de la loi du 28 décembre 2000 et ne concerne que les biens régis par la loi du 28 décembre 2000 ; qu'elle ne porte pas une atteinte disproportionnée au libre exercice du droit de propriété garanti par l'article 24 de la Constitution ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité
7. Considérant que le principe d'égalité, garanti par l'article 17 de la Constitution, ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ;
8. Considérant, en premier lieu, que la loi attaquée prévoit que l'allocation compensatoire de loyer est versée aux propriétaires de locaux à usage d'habitation régis par la loi du 28 décembre 2000 et dont l'acquisition est antérieure au 25 décembre 2004 ou qui ont été reçus par voie de succession ou de donation postérieurement à cette date, à la condition qu'ils aient été acquis antérieurement à cette date ; qu'il ressort des termes de la loi que celle-ci n'impose pas, contrairement à ce que soutient l'association requérante, que l'ensemble des biens détenus par le propriétaire aient été acquis avant le 25 décembre 2004 ;
9. Considérant qu'en adoptant la loi n° 1.291 du 21 décembre 2004, le législateur a entendu pérenniser le régime d'encadrement des loyers prévu par la loi du 28 décembre 2000 ; qu'ainsi, postérieurement au 25 décembre 2004, date d'entrée en vigueur de la loi du 21 décembre 2004, les décisions d'acquisition de biens régis par la loi du 28 décembre 2000 ont été prises au regard de cet encadrement pérenne des loyers et de son incidence sur les charges supportées par le propriétaire ; qu'ainsi, les propriétaires de locaux à usage d'habitation acquis postérieurement au 25 décembre 2004 ne se trouvent pas dans la même situation que les propriétaires de locaux acquis antérieurement à cette date ; qu'en limitant le bénéfice de l'allocation compensatoire de loyer aux propriétaires de locaux acquis antérieurement au 25 décembre 2004, la loi attaquée a établi une différence de traitement en rapport avec son objet rappelé au considérant n° 3 et n'a pas méconnu le principe d'égalité ;
10. Considérant, en deuxième lieu, que la loi attaquée prévoit que les propriétaires de locaux à usage d'habitation régis par la loi du 28 décembre 2000 et dont la surface totale est supérieure à 500 mètres carrés ne peuvent bénéficier de l'allocation compensatoire de loyer et que le propriétaire admis au bénéfice de l'allocation ne peut la solliciter qu'à concurrence d'une surface maximale de 300 mètres carrés ;
11. Considérant que ces différences de traitement entre les propriétaires de locaux relevant de la loi du 28 décembre 2000 reposent sur des critères en rapport avec l'objet de la loi rappelé au considérant n° 3 et ne sont pas disproportionnées ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité n'est pas fondé ;
12. Considérant, en dernier lieu, que, pour les mêmes motifs que ceux énoncés au considérant n° 6, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que les dispositions de la loi attaquée imposant au propriétaire de justifier de la location de l'ensemble des locaux, régis par la loi du 28 décembre 2000, qu'il possède seraient contraires au principe d'égalité ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance du droit au respect de la vie privée et familiale
13. Considérant que l'article 22 de la Constitution dispose : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale et au secret de sa correspondance » ;
14. Considérant que les articles 31 à 33 de la loi du 28 décembre 2000, dans leur rédaction résultant de la loi attaquée, mettent à la charge des propriétaires qui sollicitent l'octroi de l'allocation compensatoire de loyer un ensemble d'obligations déclaratives ; que ces dispositions n'impliquent pas la divulgation, par le demandeur, d'informations qui ne seraient pas nécessaires à l'Administration pour s'assurer du respect des conditions d'octroi de l'allocation compensatoire de loyer et pour calculer le montant de l'allocation à verser ; que, par suite, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que la loi attaquée méconnaîtrait le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 22 de la Constitution ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif
15. Considérant que le droit à un recours juridictionnel effectif est inhérent à l'affirmation constitutionnelle de la Principauté de Monaco en tant qu'État de droit ; que le respect de ce droit participe à la garantie des libertés et droits fondamentaux consacrés par le titre III de la Constitution ;
16. Considérant que, contrairement à ce que soutient l'association requérante, le silence de la loi attaquée ne prive pas les propriétaires de toute voie de recours contre les mesures prises en application de cette loi ; que la légalité de l'Ordonnance Souveraine à laquelle la loi renvoie le soin de préciser certaines modalités de calcul de l'allocation compensatoire de loyer peut être critiquée devant le Tribunal Suprême ; qu'il est, par ailleurs, loisible à tout propriétaire de former un recours juridictionnel contre la décision administrative fixant le montant de l'allocation compensatoire de loyer à laquelle il a droit ; que, dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif garanti par la Constitution n'est pas fondé ;
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance des principes de personnalité, de nécessité et de proportionnalité des peines
17. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 20 de la Constitution : « Nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu'en vertu de la loi » ;
18. Considérant que l'article 35 de la loi du 28 décembre 2000, dans sa rédaction issue de la loi n° 1.377 du 18 mai 2011, impose notamment au propriétaire de tout logement régi par cette loi et qui devient vacant de faire une déclaration de vacance auprès de la Direction de l'Habitat dans le délai d'un mois et, sauf exceptions qu'il prévoit, d'offrir ce logement à la location dans le mois suivant la déclaration de vacance ; que l'article 35-1 de la même loi précise que, sauf motif légitime, le local doit être effectivement occupé avant l'expiration d'un délai de trois mois à compter de la date de la déclaration de vacance ; qu'en vertu de l'article 37 de la même loi, dans sa rédaction issue de la loi du 18 mai 2011, tout propriétaire ne respectant pas les dispositions de l'article 35 est passible d'une amende administrative, prononcée par le Ministre d'État, dont le montant ne peut excéder 50.000 euros ; que l'article 3 de la loi attaquée étend l'application de l'article 35 de la loi du 28 décembre 2000 aux logements vacants ; qu'il ouvre également la faculté au Ministre d'État de prononcer à l'égard du propriétaire qui n'a pas respecté les obligations prévues à l'article 35 de la loi du 28 décembre 2000, outre une sanction pécuniaire d'un montant maximal de 50.000 euros, une sanction consistant en l'interdiction de percevoir l'allocation compensatoire de loyer pendant une période qui ne peut excéder six mois à compter de la mise en location ; qu'en vertu du même article 3 de la loi attaquée, la sanction pécuniaire peut être portée à 75.000 euros en cas de réitération de faits ayant donné lieu au prononcé d'une sanction pécuniaire dans le délai d'un an à compter du jour de sa notification ; que la loi attaquée prévoit, par ailleurs, qu'en cas de méconnaissance des obligations énoncées par l'article 35 de la loi du 28 décembre 2000, le propriétaire est entendu en ses explications ou dûment appelé à les fournir dans un délai de quinze jours à compter du manquement constaté et que le Ministre d'État peut mettre en demeure le propriétaire de proposer le bien à location dans un délai d'un mois ; que l'article 4 de la loi attaquée prévoit que les propriétaires de logements vacants au jour de son entrée en vigueur disposent d'un délai d'un an pour effectuer la déclaration de vacance ;
19. Considérant, en premier lieu, que le moyen tiré de ce que les dispositions législatives attaquées, en permettant que le propriétaire puisse être sanctionné en raison du comportement d'un tiers, méconnaîtraient le principe de personnalité des peines, qui découle de l'article 20 de la Constitution, manque en fait ;
20. Considérant, en deuxième lieu, d'une part, qu'un administré peut toujours se prévaloir d'un cas de force majeure de nature à l'exonérer du respect d'une obligation légale alors même que la loi ne réserve pas le cas de la force majeure ; que, d'autre part, loin d'interdire au propriétaire de pouvoir faire état d'un motif légitime pour lequel il n'aurait pas été en mesure de respecter l'une des obligations prévues à l'article 35 de la loi du 28 décembre 2000, la loi attaquée impose, au contraire, à l'Administration de recueillir ses explications préalablement au prononcé de toute sanction ; qu'un tel motif peut justifier qu'aucune sanction ne soit prononcée à l'encontre du propriétaire à raison du manquement à ses obligations ;
21. Considérant, en dernier lieu, que les sanctions prévues par la loi attaquée ne sont pas manifestement disproportionnées ; qu'il appartient au Ministre d'État, lorsqu'il est appelé à sanctionner la méconnaissance par un propriétaire d'une des obligations énoncées à l'article 35 de la loi du 28 décembre 2000, de tenir compte de l'ensemble des circonstances pertinentes, notamment du comportement du propriétaire, de la gravité du manquement, appréciée au regard de sa durée, de sa répétitivité et, le cas échéant, du montant de l'allocation compensatoire de loyer indûment perçue ainsi que, si ces éléments sont portés à sa connaissance, de la situation financière du propriétaire ; que les sanctions prononcées sur le fondement des dispositions attaquées sont soumises au contrôle du juge de l'excès de pouvoir ;
22. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que le législateur aurait méconnu les principes de personnalité, de nécessité et de proportionnalité des peines qui découlent de l'article 20 de la Constitution ;
23. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'ASSOCIATION DES PROPRIETAIRES DE MONACO n'est pas fondée à demander l'annulation de la loi qu'elle attaque ; que sa requête doit, par suite, être rejetée ;


Décide :


Article Premier.


Sous les réserves d'interprétation énoncées aux considérants nos 20 et 21, la requête de l'ASSOCIATION  DES PROPRIETAIRES DE MONACO est rejetée.


Art. 2.


Les dépens sont mis à la charge de l'ASSOCIATION DES PROPRIETAIRES DE MONACO.


Art. 3.


Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.
Pour extrait certifié conforme à l'original délivré en exécution de l'article 37 de l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963.


Le Greffier en Chef,
V. SANGIORGIO.

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