TRIBUNAL SUPRÊME de la Principauté de Monaco - EXTRAIT
Audience du 21 novembre 2024
Lecture du 4 décembre 2024
Recours en annulation pour excès de pouvoir de l’Ordonnance Souveraine du 6 juillet 2023 prononçant la rétrogradation de L.J. au grade de Chef de section auprès de la Direction du AA, ensemble la décision de notification du 21 juillet 2023 prise par la Direction des AB.
En la cause de :
L.J., née le jma à Toulon (France), de nationalité monégasque, demeurant x1 à Monaco ;
Ayant élu domicile en l’étude de Maître Christophe BALLERIO, Avocat-défenseur près la Cour d’appel de Monaco, et plaidant par ledit Avocat-défenseur ;
Contre :
L’État de Monaco, représenté par le Ministre d’État, ayant pour Avocat-défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par Maître François MOLINIE, Avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation de France ;
LE TRIBUNAL SUPRÊME
Siégeant et délibérant en assemblée plénière,
Après en avoir délibéré :
1. Considérant que L.J. demande au Tribunal Suprême d’annuler pour excès de pouvoir l’Ordonnance Souveraine du 6 juillet 2023 prononçant sa rétrogradation au grade de Chef de section auprès de la Direction du AA, qui lui a été notifiée le 25 juillet 2023, ensemble la décision de notification du 21 juillet 2023 prise par la Direction des AB et de condamner l’État de Monaco à lui verser la somme de 50.000 euros au titre de son préjudice moral, la somme de 300 euros mensuels au titre de son préjudice économique à parfaire jusqu’au prononcé de la décision à intervenir, ainsi qu’aux entiers dépens ;
2. Considérant que, lorsqu’il est saisi par un agent public ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire, il appartient au Tribunal Suprême de contrôler la matérialité des faits reprochés, leur qualification et la proportionnalité entre, d’une part, la gravité des fautes commises et, d’autre part, la gravité de la sanction dont il a fait l’objet et, s’il y a lieu, d’en réparer les conséquences dommageables ;
Sur les conclusions à fin d’annulation
3. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 6‑1 de la loi n° 975 du 12 juillet 1975, modifiée, portant statut des fonctionnaires de l’État : « Le fonctionnaire exerce ses fonctions avec loyauté, dignité, impartialité, intégrité et probité » ; que ces dispositions, introduites par la loi n° 1.527 du 7 juillet 2022 et entrées en vigueur à compter du 1er janvier 2023, se bornent à rappeler les devoirs de moralité et de probité qui s’imposent à tout fonctionnaire ;
4. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que N.K. avait confié par le passé à sa collègue L.J. la photocopie de sa carte d’identité pour récupérer en son nom des places de spectacle auprès de l’organisme dénommé C.B. ; que L.J. a conservé ce document à l’insu de N.K. ; qu’en novembre 2022, elle a utilisé ce document pour retirer auprès du même organisme deux places de spectacle réservées à N.K., sans solliciter son accord ni l’en informer, préalablement ou postérieurement ; que ces faits, constitutifs d’un manquement au devoir de probité, sont de nature à justifier une sanction ;
5. Considérant, en second lieu, qu’aux termes de l’article 41 de la loi du 12 juillet 1975, modifiée : « Les sanctions disciplinaires sont : / 1° l’avertissement ; / 2° le blâme ; / 3° l’abaissement de classe ou d’échelon ; / 4° la rétrogradation ; / 5° l’exclusion temporaire de fonction pour une durée de trois mois à un an ; / 6° la mise à la retraite d’office ; / 7° la révocation. / Toute sanction disciplinaire est inscrite au dossier visé à l’article 13. / Une exclusion temporaire de fonction pour une durée de trois mois au plus peut, en outre, être prononcée à titre de sanction principale ou complémentaire » ;
6. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que les faits ont eu lieu en dehors de l’exercice des fonctions de L.J. ; que l’utilisation d’une photocopie de la pièce d’identité de N.K. à son insu n’a été possible que parce que cette dernière la lui avait confiée deux ans auparavant ; que le montant des places de spectacle retirées s’échelonnaient entre 40 et 100 euros ; que les pièces du dossier ne permettent pas d’établir avec certitude l’intention de L.J. de retirer les places pour les conserver ; qu’eu égard à l’ensemble de ces circonstances, la décision attaquée, en infligeant une sanction de rétrogradation alors que des sanctions moindres pouvaient être prononcées, n’est pas proportionnée à la gravité des faits reprochés à L.J. ;
7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, l’Ordonnance Souveraine du 6 juillet 2023 prononçant la rétrogradation de L.J. au grade de Chef de section auprès de la Direction du AA doit être annulée ; qu’en revanche, les conclusions dirigées contre la lettre de notification du 21 juillet 2023 en tant que celle‑ci prévoit la publication de ladite Ordonnance Souveraine au Journal de Monaco ne peuvent qu’être rejetées dès lors qu’une telle publication est prévue par l’article 69 de la Constitution ;
Sur les conclusions à fin d’indemnisation
8. Considérant que, dans les circonstances particulières de l’espèce, la faute commise par L.J. ne lui permet pas d’invoquer un préjudice matériel et moral susceptible d’être indemnisé ;
Décide :
Article Premier.
L’Ordonnance Souveraine du 6 juillet 2023 prononçant la rétrogradation de L.J. au grade de Chef de section auprès de la Direction du AA est annulée.
Art. 2.
Le surplus des conclusions de la requête de L.J. est rejeté.
Art. 3.
Les dépens sont mis à la charge de l’État de Monaco.
Art. 4.
Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d’État.
Pour extrait certifié conforme à l’original délivré en exécution de l’article 37 de l’Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963.
Le Greffier en Chef,
N. Vallauri.