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TRIBUNAL SUPRÊME de la Principauté de Monaco - Extrait - Audience du 24 février 2023 - Lecture du 10 mars 2023

  • N° journal 8635
  • Date de publication 24/03/2023
  • Qualité 100%
  • N° de page

Recours tendant à l’annulation de la loi n° 1.530 du 29 juillet 2022 prononçant la désaffectation, sur l’Esplanade des Pêcheurs, quai Rainier Ier Grand Amiral de France et une partie du quai Antoine Ier, d’une parcelle de terrain dépendant du domaine public de l’État.

En la cause de :

La société civile immobilière (S.C.I.) E., dont le siège social est sis 25, chemin des Révoires à Monaco, représentée par son gérant en exercice, demeurant et domicilié en cette qualité audit siège ;

Ayant élu domicile en l’étude de Maître Charles LECUYER, Avocat-Défenseur près la Cour d’appel de Monaco, substitué par Maître Christophe BALLERIO, Avocat-Défenseur près la même Cour, et plaidant par Maître Bertrand PERIER, Avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation de France et Maître Richard MALKA, Avocat au Barreau de Paris ;

Contre :

L’État de Monaco représenté par le Ministre d’État, ayant pour Avocat-Défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, Avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation de France ;

En présence de :

1) La société anonyme monégasque (S.A.M.) C. I. ;

Ayant élu domicile en l’étude de Maître Arnaud ZABALDANO, Avocat-Défenseur près la Cour d’appel de Monaco, et plaidant par Maître François-Henri BRIARD, Avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation de France ;

2) M. F. G. ;

Ayant élu domicile en l’étude de Monsieur le Bâtonnier Thomas GIACCARDI, Avocat-Défenseur près la Cour d’appel de Monaco, et plaidant par Maître Jean-Marie BURGUBURU, Avocat au Barreau de Paris ;

LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en assemblée plénière,

…/…

Après en avoir délibéré :

1. Considérant que le 5 septembre 2014, l’État de Monaco, la S…..Groupe C., société anonyme monégasque de projet, aujourd’hui dénommée C. I., et M. G. ont conclu un protocole d’accord relatif à la conception, au financement et à la réalisation d’un vaste projet culturel et immobilier comportant la création d’un musée axé sur le monde de l’archéologie sous-marine, dénommé « Centre de l’Homme et de la Mer » et principalement destiné à présenter au public la collection d’œuvres et d’objets de M. G., ainsi que la réalisation de logements, commerces et bureaux, de parkings et d’une esplanade publique ; que toutefois, en 2017, le Ministre d’État a retiré de ce contrat la signature de l’État ; que, dans sa décision 2018-08 du 29 novembre 2018, le Tribunal Suprême a, d’une part, jugé que si le retrait de la signature de l’État pouvait être regardé comme inspiré par des considérations d’intérêt général tenant au maintien de l’organisation en Principauté de courses automobiles de renommée internationale, cette décision unilatérale, en anéantissant rétroactivement les effets produits par le contrat pendant plusieurs années et en excluant toute indemnisation de la société contractante, avait porté une atteinte disproportionnée au droit de propriété et au principe de sécurité juridique garantis par la Constitution et, d’autre part, ordonné une expertise tendant à l’évaluation de la réalité et du montant des différents préjudices allégués par la S.A.M. C. I. ; qu’alors que le collège expertal présidé par M. R.R., entouré d’experts choisis par les parties et de sapiteurs qualifiés, avait évalué le préjudice subi par cette société à 264.630.000 euros, le Tribunal a condamné l’État au versement d’une somme de 136.992.000 euros, majorés des intérêts légaux à compter du 23 février 2018, en réparation des préjudices subis ; que M. G. a formé devant le Tribunal Suprême un recours, toujours pendant, tendant, pour les mêmes motifs, à ce que l’État lui verse la somme de 162.820.000 euros en réparation des préjudices qu’il estime avoir subis du fait du retrait par le Ministre d’État de la signature de l’État ; que l’État a souhaité rechercher avec la S.A.M. C. I. et M. G. les modalités d’un nouveau projet permettant notamment de garantir la bonne organisation des Grands Prix automobiles en Principauté ; que la mise en œuvre du projet révisé requiert la désaffectation, sur l’Esplanade des Pêcheurs, quai Rainier Ier Grand Amiral de France et une partie du quai Antoine Ier, d’une parcelle de terrain dépendant du domaine public de l’État ; que la S.CI. E.  demande au Tribunal Suprême l’annulation de la loi n° 1.530 du 29 juillet 2022 prononçant la désaffectation de cette parcelle ;

Sur la procédure

2. Considérant qu’il ressort de la procédure que par une ordonnance du 3 octobre 2022, le Président du Tribunal Suprême, faisant application des dispositions de l’article 26 de l’Ordonnance Souveraine du 16 avril 1963, modifiée, sur l’organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême, a réduit les délais de production de la réplique et de la duplique ; qu’une telle mesure est justifiée par l’urgence tenant à ce que le Tribunal Suprême statue dans les meilleurs délais sur une demande d’annulation d’une loi en raison d’une méconnaissance alléguée aux libertés et droits fondamentaux garantis par le Constitution ; que la réduction des délais est identique pour les deux parties ; qu’au demeurant, en l’espèce, compte tenu de la suspension des délais consécutive à la demande de récusation présentée par la société requérante et, malgré cette suspension, de la communication par le Tribunal Suprême de la contre-requête à la S.C.I E., celle-ci a bénéficié d’un délai pour produire sa réplique plus long que celui qui lui était imparti par l’ordonnance du Président du Tribunal Suprême ; qu’au surplus, la société requérante a indiqué dans sa réplique qu’elle avait fait valoir ses moyens de façon complète dans sa requête ; que c’est conformément à l’article 18 de l’Ordonnance Souveraine du 16 avril 1963 que le Président du Tribunal Suprême a, par une ordonnance du 12 octobre 2022, fait communiquer la procédure à la S.A.M. C. I. et à M. G. ; que la S.C.I. E.  a été mise en mesure de répondre aux observations qu’ils ont présentées ; qu’enfin, par une décision du 19 décembre 2022, le Tribunal Suprême a rejeté sans instruction contradictoire, conformément aux dispositions de l’article 25-2 de l’Ordonnance Souveraine du 16 avril 1963, la demande de récusation du Président du Tribunal présentée par la société requérante ; qu’au terme de cette procédure, conformément aux dispositions de l’Ordonnance Souveraine du 16 avril 1963 et dans le respect des droits des parties, il appartient au Tribunal Suprême de se prononcer sur le recours de la S.C.I. E.  ;

Sur la demande de mesure d’instruction

3. Considérant qu’en l’état des pièces produites et jointes au dossier, il n’y a pas lieu de prescrire la mesure d’instruction sollicitée par la S.C.I. E.  ;

Sur les conclusions à fin d’annulation de la loi attaquée

4. Considérant, en premier lieu, que, d’une part, au sein du titre III de la Constitution, son article 24 énonce : « La propriété est inviolable. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique légalement constatée et moyennant une juste indemnité, établie et versée dans les conditions prévues par la loi » ; que la protection du droit de propriété bénéficie tant aux personnes privées qu’à l’État et aux autres personnes publiques ;

5. Considérant que, d’autre part, au sein du Titre IV de la Constitution, consacré au domaine public et aux finances publiques, l’article 33 dispose : « Le domaine public est inaliénable et imprescriptible. / La désaffectation d’un bien du domaine public ne peut être prononcée que par une loi. Elle fait entrer le bien désaffecté dans le domaine privé de l’État ou de la Commune, selon le cas. / La consistance et le régime du domaine public sont déterminés par la loi » ; qu’aux termes du premier alinéa de l’article 35 : « Les biens et droits immobiliers relevant du domaine privé de l’État ne sont aliénables que conformément à la loi » ;

6. Considérant que, conformément à l’article 90 de la Constitution, il appartient au Tribunal Suprême, saisi d’un recours tendant à l’annulation d’une loi, de se prononcer sur les moyens tirés de ce que cette loi porterait atteinte aux droits et libertés consacrés par le Titre III de la Constitution ; qu’en conséquence, les moyens tirés de ce que la loi attaquée méconnaîtrait d’autres dispositions de la Constitution sont irrecevables ; qu’ainsi, la société requérante n’est pas recevable à critiquer la procédure de désaffection de la parcelle litigieuse dans la mesure où celle-ci est régie par l’article 33 de la Constitution ;

7. Considérant que l’unique objet de la loi attaquée est de prononcer la désaffectation d’une parcelle du domaine public de l’État ; qu’elle a, dès lors, pour seul effet, conformément à l’article 33 de la Constitution, de faire rentrer le bien désaffecté dans le domaine privé de l’État ; qu’ainsi, elle n’a pour objet ni d’autoriser la cession de la parcelle concernée, ni d’autoriser la réalisation d’un projet immobilier par un promoteur privé sur cette parcelle, ni d’approuver un protocole d’accord ;

8. Considérant que le projet en vue duquel la désaffectation de la parcelle concernée a été décidée par le législateur est une opération d’aménagement complexe et globale ; qu’elle tend en particulier à créer une institution muséale à vocation culturelle et scientifique d’une surface d’environ 5.400 m2, destinée notamment à accueillir les collections d’archéologie sous-marine de M. G. ; que l’ensemble, conçu par un architecte de renommée internationale, doit comprendre également une esplanade de plain-pied d’environ 3.700 m2 et des espaces couverts modulables d’environ 2.100 m2 utilisables pour les Grands Prix automobiles ainsi que pour d’autres manifestations tout au long de l’année, un bâtiment à usage de commerces, de bureaux et de logements privés d’une superficie totale de 18.100 m2, un immeuble d’environ 3.000 m2 comprenant des commerces et, à la différence d’autres opérations immobilières, des logements domaniaux, des locaux de 1.500 m2 pour le relogement des professionnels du port et de la Police maritime, une liaison par ascenseurs reliant le projet au quartier de Monaco Ville, des jardins publics d’une superficie d’environ 2.000 m2 ainsi que 182 places de stationnement ; que le musée sera géré par une société créée par le promoteur pour une durée de 15 ans, sans frais pour l’État ; que la réalisation de ce projet impliquera, lorsque les autorisations administratives requises seront définitives, la cession par l’État du terrain d’assiette au promoteur ; que, dans le même temps, le promoteur remettra à l’État en dation, en l’état futur d’achèvement, les locaux affectés au Centre de l’Homme et de la Mer, l’esplanade et les espaces modulables, l’aménagement des jardins et de la liaison par ascenseurs, les locaux pour les professionnels du port et pour la Police municipale et l’immeuble de commerces et de logements domaniaux ; que M. G. fera donation à l’État de sa collection d’objets d’art et d’antiquités ; que, par ailleurs, l’État recevra en pleine propriété l’entièreté du deuxième étage de l’immeuble à usage de logements privés, d’une surface d’environ 1.870 m2, ainsi que 20 places de parkings, pour lesquels la valorisation est estimée à 118 millions d’euros ; que le promoteur prendra également à sa charge le paiement à l’État, à titre de soulte en numéraire, d’une somme de 10 millions d’euros, la dotation à l’entité en charge de l’exploitation du pôle scientifique du Centre de l’Homme et de la Mer d’une somme de 15 millions d’euros, destinée à financer sa création et son exploitation pendant une durée de cinq ans, le paiement à cette entité d’une somme de 2,68 millions d’euros ainsi que la capitalisation à hauteur de 9 millions d’euros de la société d’exploitation du pôle muséal du Centre de l’Homme et de la Mer ; qu’en outre, la S.A.M. C. I. renoncera au versement de l’indemnité à laquelle elle a droit en application de la décision du Tribunal Suprême ; que M. G. devrait, pour sa part, se désister de son action indemnitaire ; qu’enfin, à la demande du Conseil National, une clause de sauvegarde permettra à l’État, de manière inédite, de percevoir 30 % des éventuels surprofits réalisés par le promoteur ; qu’eu égard à l’ensemble des équipements à réaliser et des contreparties financières pour l’État qu’il comporte, un tel projet, dont les éléments ne sauraient être dissociés, présente un intérêt public ; que, par suite, le déclassement de la parcelle que suppose sa réalisation poursuit un but d’intérêt général ; qu’ainsi, la société S.C.I. E.  n’est, en tout état de cause, pas fondée à soutenir que la loi qu’elle attaque porterait une atteinte injustifiée au droit de propriété de l’État dont elle entend se prévaloir ;

9. Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes de l’article 19 de la Constitution : « La liberté et la sûreté individuelles sont garanties. Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi, devant les juges qu’elle désigne et dans la forme qu’elle prescrit. / Hors le cas de flagrant délit, nul ne peut être arrêté qu’en vertu de l’ordonnance motivée du juge, laquelle doit être signifiée au moment de l’arrestation ou, au plus tard, dans les vingt-quatre heures. Toute détention doit être précédée d’un interrogatoire » ; que la liberté d’aller et venir est une composante de la liberté individuelle garantie par l’article 19 de la Constitution ; que cette liberté doit être conciliée avec les règles, principes et exigences de valeur constitutionnelle applicables dans l’État monégasque ; qu’il est, en outre, loisible au législateur d’apporter à cette liberté des limitations justifiées par l’intérêt général à la condition qu’il n’en résulte pas une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi ;

10. Considérant que, contrairement à ce que soutient la société requérante, la circonstance qu’il n’ait pas été, préalablement à l’adoption de la loi, mis fin à l’affectation de la parcelle concernée à l’usage direct du public ne saurait nullement emporter une méconnaissance, par la loi attaquée, de la liberté d’aller et venir ; qu’en outre, il n’est aucunement établi ni même allégué que la désaffectation de la parcelle par la loi attaquée emporterait une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et venir de tiers dont la société requérante entend se prévaloir ; qu’au demeurant, elle indique elle-même que la parcelle est toujours accessible au public ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la loi attaquée méconnaîtrait la liberté d’aller et venir ne peut, en tout état de cause, qu’être écarté ;

11. Considérant, en dernier lieu, que le principe d’égalité, garanti par l’article 17 de la Constitution, impose que l’Administration qui procède à une mise en concurrence en vue de choisir un cocontractant veille à l’égal accès des candidats qu’elle a sollicités ou qui ont répondu à un appel d’offres ;

12. Considérant qu’ainsi qu’il a été dit, la loi attaquée se borne à faire entrer la parcelle concernée dans le domaine privé de l’État ; qu’eu égard à l’objet de cette loi, la société requérante ne peut utilement soutenir qu’elle serait contraire au principe d’égalité au motif que l’opération envisagée n’aurait pas été soumise à une mise en concurrence préalable ; qu’au demeurant, d’une part, eu égard à ses caractéristiques, cette opération n’entre pas dans le champ des marchés pour la conclusion desquels le législateur impose une mise en concurrence préalable et, d’autre part, le principe d’égalité garanti par la Constitution, dont la portée est rappelée au point précédent, n’impose pas une telle mise en concurrence ; que, dès lors, la S.C.I. E.  n’est pas fondée à soutenir que la loi qu’elle attaque méconnaîtrait le principe d’égalité devant la loi ;

13. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par le Ministre d’État et tirée du défaut d’intérêt et de qualité pour agir de la S.C.I. E., sa requête doit être rejetée ;

Décide :

Article Premier.

La requête de la S.C.I. E.  est rejetée.

Art. 2.

Les dépens sont mis à la charge de la S.C.I. E.

Art. 3.

Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d’État.

Pour extrait certifié conforme à l’original délivré en exécution de l’article 37 de l’Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963.

Le Greffier en Chef,

V. Sangiorgio.

 

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