EXTRAIT - Tribunal Suprême de la Principauté de Monaco - Audience du 6 juin 2018 - Lecture du 19 juin 2018
Recours en annulation pour excès de pouvoir des arrêtés ministériels n° 2017-183, 2017-184 et 2017-185 du 27 mars 2017 autorisant M. S.P., Mme O.R. et M. B.W.S. à exercer la profession d'expert-comptable (recours n° 2017-13) et en annulation de la décision implicite du Ministre d'État du 28 septembre 2017 ayant rejeté le recours gracieux formé le 26 mai 2017 par M. M.A. contre les arrêtés ministériels précités n° 2017-183, 2017-184 et 2017-185 ainsi que contre la décision implicite de rejet de sa demande d'admission au tableau de l'Ordre des experts-comptables de Monaco en date du 27 mars 2017 (recours n° 2018‑01) et à la condamnation de l'Etat de Monaco aux entiers dépens.
En la cause de :
Monsieur M. M. A,
Elisant domicile en l'étude de Maître Sarah FILIPPI, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître André BONNET, avocat au Barreau de Marseille.
Contre :
L'État de Monaco, représenté par le Ministre d'État, ayant pour Avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco Maître Christophe SOSSO et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, Avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France.
M. S.P., élisant domicile en l'étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Régis FROGER, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France,
Mme O.R., élisant domicile en l'étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Régis FROGER, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France,
M. B.W.S., élisant domicile en l'étude de Maître Richard MULLOT, avocat-défenseur près la Cour d'appel de Monaco, et plaidant par Maître Régis FROGER, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation de France
LE TRIBUNAL SUPRÊME
Siégeant et délibérant en assemblée plénière,
…/…
Après en avoir délibéré
Considérant que les requêtes n° 2017-13 et n° 2018‑01 présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a dès lors lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par une seule et même décision ;
Considérant que, selon les articles 1er et 5 de la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000 relative aux professions d'expert-comptable et comptable agréé, l'exercice de ces professions est subordonné à une autorisation administrative, délivrée par arrêté ministériel, après avis motivé du Conseil de l'Ordre des experts-comptables et comptables agréés ; que l'article 4 de la même loi dispose que le nombre maximal des experts-comptables est fixé par ordonnance souveraine prise après avis du même Conseil ;
Considérant qu'en application de ces dispositions et sur proposition du Conseil de l'Ordre réuni le 28 février 2017, le nombre maximal des experts-comptables et des comptables agréés susceptibles d'être autorisés à exercer a été porté de 32 à 35 par l'Ordonnance Souveraine n° 6.323 du 27 mars 2017 ; que, sur propositions du Conseil de l'Ordre émises lors de la même réunion du 28 février 2017, le Ministre d'État a retenu les candidatures de M. S. P., Mme O.R. et M. B.W.S. et implicitement rejeté les autres candidatures en attente, dont celle de M. A. ; que l'Ordonnance Souveraine n° 6.323 du 27 mars 2017 et les arrêtés autorisant M. P., Mme R. et M. S. à exercer la profession d'expert-comptable ont été publiés au Journal de Monaco le même jour, 31 mars 2017 ; que, par lettre du 26 mai 2017, M. A. a formé un recours gracieux auprès du Ministre d'État tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet de sa candidature et des trois arrêtés ministériels ayant autorisé M. P., Mme R. et M. S. à exercer la profession d'expert-comptable ; que, le 30 mai 2017, M. A. a saisi le Tribunal Suprême d'une requête en annulation de ces trois arrêtés ministériels et le 18 octobre 2017, d'une requête en annulation du refus implicitement opposé, le 28 septembre 2017, à son recours gracieux du 26 mai 2017 ;
Sur les fins de non-recevoir opposées en défense
Considérant que, par une requête unique, enregistrée sous le numéro 2017-13, M. A. demande l'annulation des arrêtés ministériels n° 2017-183, 2017-184 et 2017‑185 du 27 mars 2017 par lesquels le Ministre d'État a autorisé M. P., Mme R. et M. S. à exercer la profession d'expert-comptable ; que, eu égard à l'objet des décisions attaquées et aux conditions dans lesquelles elles ont été prises, les requêtes présentent entre elles un lien suffisant ; que, dès lors, les fins de non-recevoir tirées du caractère collectif de la requête doivent être écartées ;
Considérant qu'est également recevable la requête enregistrée sous le numéro 2018-01 et dirigée contre la décision implicite du 28 septembre 2017 par laquelle le Ministre d'État a rejeté le recours gracieux formé par M. A. le 26 mai 2017 contre les décisions du 27 mars 2017 qui ont, d'une part, rejeté implicitement sa demande d'autorisation d'exercice de la profession d'expert-comptable et, d'autre part, autorisé expressément M. P., Mme R. et M. S. à exercer la profession d'expert-comptable ;
Sur la légalité externe
Considérant qu'à tout moment toute personne intéressée est en mesure de demander à être autorisée à exercer la profession d'expert-comptable dès lors qu'elle remplit les conditions légales ; qu'il en résulte que l'augmentation du nombre maximal des autorisations susceptibles d'être délivrées n'implique ni l'organisation d'un appel à candidatures, ni un délai minimal entre la publication de l'Ordonnance Souveraine modifiant le nombre d'autorisations et l'examen des demandes ; que, par suite, M. A. ne peut soutenir utilement que la circonstance que l'augmentation du nombre maximal d'experts-comptables autorisés à exercer et les noms des trois nouveaux candidats bénéficiaires de cette augmentation aient été proposés par le Conseil de l'Ordre le même jour, puis décidés le même jour et enfin publiés le même jour, affecterait la légalité des décisions attaquées ;
Considérant que le principe d'impartialité s'impose dans toute procédure administrative ; qu'eu égard aux liens d'intérêt étroits qui l'unissaient à M. P. depuis le 15 septembre 2016 au sein de la S.A.M. SJPS, le président du Conseil de l'Ordre ne pouvait siéger lors de l'examen de cette candidature ; que, dès lors, l'arrêté n° 2017-183 a été pris à l'issue d'une procédure irrégulière et doit être annulé ;
Sur la légalité interne
Considérant qu'aux termes de l'article 25 de la Constitution : « La liberté du travail est garantie. Son exercice est réglementé par la loi. La priorité est assurée aux Monégasques pour l'accession aux emplois publics et privés, dans les conditions prévues par la loi ou les conventions internationales » ; que l'article 32 de la même Constitution dispose : « L'étranger jouit dans la Principauté de tous les droits publics et privés qui ne sont pas formellement réservés aux nationaux » ; que l'article 5 de la loi n° 1.231 du 12 juillet 2000 fixe les conditions suivantes pour exercer la profession d'expert-comptable : « 1° - être de nationalité monégasque ou justifier d'attaches sérieuses avec la Principauté et y avoir son domicile ; 2° - jouir de ses droits civils ; 3°- offrir toutes garanties de moralité professionnelle ; 4° - être titulaire d'un diplôme d'expert-comptable » ;
Considérant que, dans le cas où un texte prévoit la délivrance par l'autorité administrative d'une autorisation d'exercice professionnel sans avoir défini l'ensemble des conditions permettant de déterminer à qui l'attribuer parmi ceux qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir, l'autorité compétente peut, alors même qu'elle n'est pas investie en la matière d'un pouvoir réglementaire d'application, encadrer l'action de l'administration, dans le but d'en assurer la cohérence, en déterminant par la voie de lignes directrices, sans édicter aucune condition nouvelle, des critères permettant de mettre en œuvre le texte en cause, dès lors qu'ils sont conformes aux objectifs de la législation considérée, sous réserve de motifs d'intérêt général conduisant à y déroger et de l'appréciation particulière de chaque situation ; que, si la publication de telles lignes directrices a pour effet de permettre aux administrés de les invoquer à leur profit, elle n'est pas obligatoire en l'absence de texte la prévoyant expressément ;
Considérant qu'il appartient au Ministre d'État d'appliquer, dans la délivrance des autorisations d'exercice de la profession d'expert-comptable, les conditions posées par la loi, interprétées conformément à la Constitution, et les lignes directrices que, le cas échéant, il a élaborées pour la mise en œuvre de la loi ;
Considérant que, si l'article 5 de la loi n° 1.231 précité contient les conditions légales que tout candidat aux fonctions d'expert-comptable doit remplir pour être autorisé à exercer, il ne permet pas de départager tous les candidats qui réunissent ces conditions lorsque leur nombre excède celui des autorisations disponibles ; qu'en conséquence, ainsi que M. A. en a été informé, à l'occasion d'une précédente candidature, par une lettre du Conseiller de Gouvernement-Ministre de l'Économie et des Finances en date du 19 mai 2015, l'administration a déterminé, comme il lui était loisible de le faire, des lignes directrices de différenciation des demandes, énumérées dans cette lettre du 19 mai 2015, et dont le Ministre d'État indique qu'il y a eu recours dans l'instruction des demandes en attente en février 2017 ; que, contrairement à ce que soutient M. A., ces lignes directrices ne constituent pas des conditions nouvelles par rapport à celles qui figurent dans l'article 5 de la loi n° 1.231, sont conformes aux principes constitutionnels précités ainsi qu'aux objectifs qui ressortent de cet article 5 et n'avaient pas à être publiées ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le Ministre d'État s'est fondé sur des éléments d'appréciation conformes aux conditions légales et lignes directrices rappelées ci-dessus, tout en respectant son obligation d'appréciation particulière de chaque situation ; que, dès lors, les moyens tirés de l'irrégularité des critères mentionnés dans la lettre du 19 mai 2015 ou des conditions de leur mise en œuvre doivent être écartés ;
Considérant que les appréciations portées sur les demandes de Mme R. et de M. S. ne sont pas entachées d'erreur manifeste d'appréciation ; que le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi ; que, par suite, M. A. n'est pas fondé à demander l'annulation du refus implicite qui lui a été opposé dans cette mesure ;
Considérant que l'annulation de l'autorisation délivrée à M. P. a pour conséquence d'entraîner l'annulation du refus implicite opposé à M. A., en tant que ce refus est fondé sur l'autorisation délivrée à M. P. ; que, toutefois, cette annulation ne confère pas à M. A. un droit à obtenir ladite autorisation ; qu'il appartiendra au Ministre d'État de réexaminer la demande de M. A. en même temps que l'ensemble des demandes pendantes ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. A. n'est fondé à demander l'annulation que de la seule autorisation délivrée à M. P. et du rejet implicite de sa demande en tant qu'il était fondé sur cette autorisation ;
Décide
Article 1er : L'arrêté ministériel n° 2017-183 du 27 mars 2017 et la décision de rejet implicite de la demande de M. A., en tant qu'elle est fondée sur l'autorisation délivrée à M. P., sont annulés.
Article 2 : Le surplus de la requête est rejeté.
Article 3 : Les dépens sont partagés par tiers entre M. A., M. P. et le Ministre d'État.
Article 4 : Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d'État.
Pour extrait certifié conforme à l'original délivré en exécution de l'article 37 de l'Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963.
Le Greffier en Chef,
V. SANGIORGIO.