Fête de Sainte-Dévote - 26 et 27 janvier 2016
Le soir du mardi 26 janvier 2016, LL.AA.SS. le Prince Albert II et la Princesse Charlène assistaient, en présence de membres de la famille de Massy, à la cérémonie du Salut du Très Saint Sacrement dans l’église Sainte-Dévote.
La cérémonie était présidée par S. Exc. Mgr Bernard Barsi, Archevêque de Monaco, qui avait à ses côtés, S.Exc. Mgr Luigi Travaglino, Nonce apostolique auprès de la Principauté de Monaco, S.Exc. Mgr Jean-Michel Di Falco Leandri, Evêque de Gap et d’Embrun, le Père César Penzo, Chapelain du Palais et M. l’Abbé Jean-Christophe Genson, Curé de Sainte-Dévote.
A l’issue de l’office, avec les Autorités et les fidèles, la Famille Princière Se rendait sur le parvis de l’église Sainte-Dévote où Leurs Altesses Sérénissimes procédaient à l’embrasement de la barque symbolique après l’exécution de l’hymne national.
LL.AA.SS. le Prince et la Princesse de Monaco Se dirigeaient ensuite au Yacht Club de Monaco pour assister au feu d’artifice tiré de la mer et offert aux nombreux spectateurs présents sur le Port Hercule.
*
* *
Le lendemain, mercredi 27 janvier 2016, LL.AA.SS. le Prince Albert II et la Princesse Charlène assistaient à la Messe pontificale célébrée en la Cathédrale.
Cet office était présidé par S.Exc. Mgr Jean-Michel Di Falco Leandri, Evêque de Gap et d’Embrun, et concélébré par S.Exc Mgr Bernard Barsi, Archevêque de Monaco, S.Exc. Mgr Luigi Travaglino, Nonce apostolique auprès de la Principauté de Monaco, S.Exc. Mgr André Marceau, Evêque de Nice, S.Exc. Mgr Antonio Suetta, Evêque de Vintimille - San Remo (Italie), S.Exc. Mgr Jean Bonfils, Evêque émérite de Nice et les prêtres du diocèse.
S.Exc. Mgr Jean-Michel Di Falco Leandri prononçait l’homélie suivante :
« Lorsque j’entends le psaume de ce jour avec les flots qui nous emportent, les torrents qui nous submergent, lorsque je pense à la barque de sainte Dévote perdue au milieu de la mer, lorsque je la vois guidée par la colombe, je ne peux pas m’empêcher de penser à une autre mer, à un autre bateau, à une autre colombe.
Une mer, un bateau, une colombe dans la Bible… Oui, je veux parler de l’arche de Noé.
Le récit du déluge n’est pas dans les lectures que nous avons entendues, mais vous le connaissez tous. L’arche de Noé, avec tous ses animaux, est un jeu qu’on donne encore aux enfants. Il existe même en Playmobil.
J’espère ne pas Vous manquer de respect, Monseigneur et à Vous Madame, en Vous disant que ce peut être un bon jeu éducatif pour des jumeaux ? Comme les animaux de l’arche vont toujours deux par deux, cela en fait un pour chacun. Ainsi pas de dispute.
Mais trêve de plaisanterie. Plus sérieusement, et plus dramatiquement :
Le récit du déluge dans le livre de la Genèse raconte l’histoire d’un malheur qui fond sur l’humanité tout entière. Mythe ou réalité, peu importe. Cette histoire a quelque chose à nous apprendre car elle est de tout temps. Qui n’est pas confronté un jour ou l’autre à un drame de grande ampleur ? Qui n’est pas confronté un jour ou l’autre au mal ? Le mal sous la forme d’un fléau où nulle responsabilité humaine n’est engagée : maladie, épidémie, séisme, inondation, sécheresse. Et le mal où la responsabilité humaine est au contraire pleinement engagée : déluge de feu, de fer, de haine.
Un tel déluge de haine s’est abattu sur sainte Dévote, froidement exécutée alors qu’elle ne demandait qu’à vivre paisiblement sa foi chrétienne. Un tel déluge de haine s’abat lorsque des innocents sont tués sous les balles des kalachnikovs dans des pays qui ne demandent qu’à vivre en paix. Tout être humain entrant dans ce monde est un jour ou l’autre confronté à ce mystère du mal. Et il s’interroge alors. Comment ? Pourquoi ?... Le récit du déluge participe à cette réflexion sur la pérennité du mal sur la terre.
L’histoire de sainte Dévote et celle du déluge ont quelque chose à nous apprendre aussi à l’heure où nous craignons pour l’avenir de notre planète. Car le déluge nous parle d’une destruction quasi complète, d’un sauvetage, d’un nouveau départ. Et l’histoire de sainte Dévote, elle, nous parle d’une barque qui arrive ici, à bon port, malgré la tempête. Combien d’années la Terre, notre planète, notre « maison commune », restera-t-elle viable, restera-t-elle habitable ? On sait Votre engagement, Monseigneur, pour le climat, pour l’éveil des consciences à ce sujet. Le temps est compté, mais il n’est pas encore trop tard.
Quand je pense au déluge, je pense aussi à tous les dégâts que provoque une inondation. Je pense à tous les noyés de la Méditerranée. J’imagine les millions de corps apparaissant aux yeux horrifiés de Noé et de sa famille lorsque les flots se sont retirés. Qu’en ont-ils faits ? Le récit biblique n’en dit rien.
Mais vous, Monégasques, lorsqu’il y a plus de dix-sept siècles, la barque portant le corps de Dévote quitta l’île de beauté pour venir s’échouer ici, vos aïeux ont accordé une sépulture au corps supplicié de la jeune fille. Vos aïeux vivaient la miséricorde que le pape François nous demande de redécouvrir durant cette Année sainte.
Ces gestes de miséricorde, vous les avez maintenus dans votre longue tradition, grâce à vos confréries, et par le biais des actions caritatives et humanitaires parrainées par la famille princière.
Le pape François a rappelé ces gestes concrets de miséricorde à ceux qui les auraient oubliés. J’en cite une partie : « Donner à manger aux affamés, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, accueillir les étrangers, assister les malades, visiter les prisonniers, ensevelir les morts » - comme vos aïeux l’ont fait pour sainte Dévote.
Ces actions bien concrètes sont des creusets de civilisation, car elles restaurent les êtres humains dans leur dignité, créent des liens sociaux, apportent de la chaleur humaine. La Méditerranée a été le théâtre de conflits au cours de l’Histoire, mais elle est aussi le berceau et le creuset de notre civilisation. Puisse Monaco rester un havre de paix, de justice et de charité, à l’ombre de son « rocher », et sous la protection de sainte Dévote.
L’histoire du déluge nous parle enfin d’une société soudain réduite à sa plus simple expression, celle de la cellule familiale. Dans la Bible, seuls Noé, sa femme, leurs trois fils et leurs belles-filles, ont pu trouver refuge dans l’arche. La famille comme microsociété demeure, alors que les empires périssent. Et ce n’est pas un hasard si les régimes totalitaires cherchent à séparer les enfants de leurs parents. La famille est le premier lieu où se créent des liens sociaux, où l’on fait l’apprentissage de la différence. L’histoire de sainte Dévote et de la Principauté nous parle, elle, d’un Rocher qui a été au long des siècles un refuge pour ses habitants, d’une société qui a su créer des liens entre ses habitants.
Dans un monde en crise, tout utopiste entrevoit « la possibilité d’une île », pour reprendre le titre d’un livre de Michel Houellebecq. On peut considérer la construction d’une microsociété parfaite comme irréaliste. Toujours est-il que certains s’y aventurent, avec pour modèle la famille, et en se référant même à l’arche de Noé.
C’est ainsi que Lanza del Vasto a donné en 1948 le nom de Communauté de l’Arche à sa communauté fondée sur le modèle des ashrams indiens : « une communauté qui, disait-il, de propos délibéré, s’applique à vivre de telle façon que si tout le monde en faisait autant il n’y aurait ni guerre, ni misère, ni servitude, ni révolte. »
C’est ainsi également que le canadien Jean Vanier a donné en 1964 le nom de L’Arche au lieu de vie qu’il venait de créer dans l’Oise pour accueillir des personnes exclues en raison de leur handicap mental.
Ces microsociétés ne sont viables que si elles vivent sous un régime particulier, qui n’est pas celui des coups d’État permanents, ni celui de l’immobilisme permanent, mais qui est celui de la conversion permanente.
Cela vaut aussi pour nous. À l’heure où nous sommes témoins de violences exacerbées autour de nous, nous prenons conscience que ce n’est pas la guerre qui fait exception dans notre monde, mais bien au contraire la paix. Tout l’art de se gouverner soi-même consiste à endiguer la violence qu’on porte en soi - par le sport par exemple - ; tout l’art de gouverner les autres consiste dans notre capacité à transformer leur énergie destructrice en énergie positive.
Mais de toute façon, quelle que soit l’énergie dont nous sommes habités, quel que soit le poste que nous occupons, nous allons inéluctablement vers une perte d’autonomie et vers un rétrécissement du champ des possibles. Sainte Dévote en a fait l’expérience de manière brutale. Alors que la vie s’ouvrait devant elle, d’un coup, elle n’a plus eu que deux possibilités : soit la mort avec le Christ, soit la vie en reniant le Christ. Elle a choisi la mort avec le Christ. Aujourd’hui encore combien d’hommes et de femmes sous la menace du terrorisme font le choix de la mort avec le Christ.
Pour beaucoup d’entre nous, ce rétrécissement du champ des possibles ne vient qu’avec l’âge. Jeune, tout nous semble possible. Au jeune qui croit en Dieu, sa prière ne consiste le plus souvent qu’à demander à Dieu un coup-de-pouce dans ses projets. Et puis avec l’âge, on apprend que ce qu’on peut faire n’est rien à côté de ce qu’on doit subir et supporter. À la suite de Jésus, à son école, on apprend à accepter, à offrir. Jésus, qui avait pourtant tout pouvoir sur ses bourreaux, a choisi de leur obéir. Avec lui, nous apprenons à aller là où, au premier abord, nous ne serions jamais aller. Plus ou moins contraints, nous acquiesçons. Et lorsque nous acceptons enfin l’inéluctable - comme sainte Dévote -, lorsque nous disons enfin oui à Dieu même dans ce qui nous diminue, alors Dieu vient en nous avec sa paix, alors nous devenons vainqueurs du monde (Jn 5,5), alors le filet se rompt (Psaume 123,7), et nous échappons au désespoir, à la révolte.
Peut-être que tout ce que nous avons entrepris, construit avec tant de cœur, d’ardeur, de sueur, sera détruit après nous. Peut-être... Mais cela ne nous appartient plus. Seule compte notre vie dans le Seigneur, et nous avons confiance en lui (Sg 3,9). C’est cette vie dans le Seigneur qui nous fait continuer à aller de l’avant. Sainte Dévote a été transportée morte dans sa barque. Mais à juste titre l’artiste Cyril de La Patellière l’a représentée vivante, tendue vers l’avant, comme une figure de proue. Oui, sainte Dévote paraît morte dans la barque, mais elle est en réalité vivante. Elle lâche la colombe.
Elle la suit. Elle sait qu’elle va quelque part. Elle ne sait pas où. Mais elle sait qu’avec Dieu elle ne saurait errer. (Sg 3,1)
Tout comme sainte Dévote, le chrétien est sûr que Dieu prépare un heureux dénouement, un accomplissement pour notre humanité.
Tout l’inverse d’un retour au néant, d’une catastrophe finale dont le déluge de la Bible serait l’annonce. La résurrection du Christ est la promesse et le gage de cette eucatastrophe finale (pour reprendre un mot forgé par le chrétien Tolkien, l’auteur du Seigneur des anneaux). La résurrection du Christ est eucatastrophe par excellence, c’est-à-dire une « bonne » catastrophe.
Avec la résurrection, à un moment précis, la situation s’est complètement retournée. On croyait la mort devoir l’emporter, et la voici finalement vaincue ! C’est pourquoi comme saint Paul, comme sainte Dévote, comme tous les martyrs qui ont gardé l’espérance, nous pouvons nous écrier, cette fois-ci non pas dans un déluge d’effroi, mais bien au contraire dans un déluge de triomphe et de joie : « Mort, où est ta victoire ? » (1 Co 15,55) »
A l’issue de la célébration, S.A.S. le Prince, accompagné de S.A.S. la Princesse Charlène, offrait ensuite en Son Palais un déjeuner auquel assistaient M. le Conseiller de Gouvernement pour les Relations extérieures et la Coopération, assurant les fonctions de Ministre d’Etat, et Mme Gilles Tonelli ; S.Exc. Mgr Bernard Barsi, Archevêque de Monaco ; M. le Secrétaire d’Etat et Mme Jacques Boisson ; M. Georges Lisimachio, Chef du Cabinet de S.A.S. le Prince ; Lcl Laurent Soler, Chambellan de S.A.S. le Prince ; M. Patrice Cellario, Conseiller de Gouvernement pour l’Intérieur ; S.Exc. Mgr Luigi Travaglino, Nonce apostolique ; S.E. M. l’Ambassadeur de Monaco près le Saint-Siège et Mme Claude Giordan ; M. le Maire de Monaco et Mme Georges Marsan ; M. le Chanoine César Penzo, Chapelain du Palais Princier ; S.Exc. Mgr Jean-Michel Di Falco Leandri, Evêque de Gap et d’Embrun ; S.Exc. Mgr André Marceau, Evêque de Nice ; S.Exc. Mgr Antonio Suetta, Evêque de Vintimille - San Remo (Italie) ; S.Exc. Mgr Jean Bonfils, Evêque émérite de Nice ; Très Révérendissime Père Aldino Kiesel, Supérieur Général des Oblats de Saint François de Sales ; M. l’Abbé Guillaume Paris, Vicaire général ; M. l’Abbé Daniel Deltreuil, Curé de la Cathédrale ; M. l’Abbé Joseph Di Leo, Curé de Saint-Nicolas ; Père Marc Gherardi, Curé de Saint-Charles ; M. l’Abbé Frédéric Constant, Curé de Porto-Vecchio (Corse-du-Sud) ; M. l’Abbé Olivier Mathieu, Administrateur paroissial à la Paroisse Saint-Martin/Sacré Cœur ; Père William McCandless, Fondation Princesse Charlène ; M. le Maire de Lucciana (Haute-Corse) et Mme Joseph Galletti ; M. le Maire de Porto-Vecchio (Corse-du-Sud) et Mme Georges Mela.
A l’issue du déjeuner, S.A.S. le Prince Souverain a remis à S.Exc. Mgr Jean-Michel Di Falco Leandri, Evêque de Gap et d’Embrun, une médaille représentant sainte Dévote.
La cérémonie était présidée par S. Exc. Mgr Bernard Barsi, Archevêque de Monaco, qui avait à ses côtés, S.Exc. Mgr Luigi Travaglino, Nonce apostolique auprès de la Principauté de Monaco, S.Exc. Mgr Jean-Michel Di Falco Leandri, Evêque de Gap et d’Embrun, le Père César Penzo, Chapelain du Palais et M. l’Abbé Jean-Christophe Genson, Curé de Sainte-Dévote.
A l’issue de l’office, avec les Autorités et les fidèles, la Famille Princière Se rendait sur le parvis de l’église Sainte-Dévote où Leurs Altesses Sérénissimes procédaient à l’embrasement de la barque symbolique après l’exécution de l’hymne national.
LL.AA.SS. le Prince et la Princesse de Monaco Se dirigeaient ensuite au Yacht Club de Monaco pour assister au feu d’artifice tiré de la mer et offert aux nombreux spectateurs présents sur le Port Hercule.
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Le lendemain, mercredi 27 janvier 2016, LL.AA.SS. le Prince Albert II et la Princesse Charlène assistaient à la Messe pontificale célébrée en la Cathédrale.
Cet office était présidé par S.Exc. Mgr Jean-Michel Di Falco Leandri, Evêque de Gap et d’Embrun, et concélébré par S.Exc Mgr Bernard Barsi, Archevêque de Monaco, S.Exc. Mgr Luigi Travaglino, Nonce apostolique auprès de la Principauté de Monaco, S.Exc. Mgr André Marceau, Evêque de Nice, S.Exc. Mgr Antonio Suetta, Evêque de Vintimille - San Remo (Italie), S.Exc. Mgr Jean Bonfils, Evêque émérite de Nice et les prêtres du diocèse.
S.Exc. Mgr Jean-Michel Di Falco Leandri prononçait l’homélie suivante :
« Lorsque j’entends le psaume de ce jour avec les flots qui nous emportent, les torrents qui nous submergent, lorsque je pense à la barque de sainte Dévote perdue au milieu de la mer, lorsque je la vois guidée par la colombe, je ne peux pas m’empêcher de penser à une autre mer, à un autre bateau, à une autre colombe.
Une mer, un bateau, une colombe dans la Bible… Oui, je veux parler de l’arche de Noé.
Le récit du déluge n’est pas dans les lectures que nous avons entendues, mais vous le connaissez tous. L’arche de Noé, avec tous ses animaux, est un jeu qu’on donne encore aux enfants. Il existe même en Playmobil.
J’espère ne pas Vous manquer de respect, Monseigneur et à Vous Madame, en Vous disant que ce peut être un bon jeu éducatif pour des jumeaux ? Comme les animaux de l’arche vont toujours deux par deux, cela en fait un pour chacun. Ainsi pas de dispute.
Mais trêve de plaisanterie. Plus sérieusement, et plus dramatiquement :
Le récit du déluge dans le livre de la Genèse raconte l’histoire d’un malheur qui fond sur l’humanité tout entière. Mythe ou réalité, peu importe. Cette histoire a quelque chose à nous apprendre car elle est de tout temps. Qui n’est pas confronté un jour ou l’autre à un drame de grande ampleur ? Qui n’est pas confronté un jour ou l’autre au mal ? Le mal sous la forme d’un fléau où nulle responsabilité humaine n’est engagée : maladie, épidémie, séisme, inondation, sécheresse. Et le mal où la responsabilité humaine est au contraire pleinement engagée : déluge de feu, de fer, de haine.
Un tel déluge de haine s’est abattu sur sainte Dévote, froidement exécutée alors qu’elle ne demandait qu’à vivre paisiblement sa foi chrétienne. Un tel déluge de haine s’abat lorsque des innocents sont tués sous les balles des kalachnikovs dans des pays qui ne demandent qu’à vivre en paix. Tout être humain entrant dans ce monde est un jour ou l’autre confronté à ce mystère du mal. Et il s’interroge alors. Comment ? Pourquoi ?... Le récit du déluge participe à cette réflexion sur la pérennité du mal sur la terre.
L’histoire de sainte Dévote et celle du déluge ont quelque chose à nous apprendre aussi à l’heure où nous craignons pour l’avenir de notre planète. Car le déluge nous parle d’une destruction quasi complète, d’un sauvetage, d’un nouveau départ. Et l’histoire de sainte Dévote, elle, nous parle d’une barque qui arrive ici, à bon port, malgré la tempête. Combien d’années la Terre, notre planète, notre « maison commune », restera-t-elle viable, restera-t-elle habitable ? On sait Votre engagement, Monseigneur, pour le climat, pour l’éveil des consciences à ce sujet. Le temps est compté, mais il n’est pas encore trop tard.
Quand je pense au déluge, je pense aussi à tous les dégâts que provoque une inondation. Je pense à tous les noyés de la Méditerranée. J’imagine les millions de corps apparaissant aux yeux horrifiés de Noé et de sa famille lorsque les flots se sont retirés. Qu’en ont-ils faits ? Le récit biblique n’en dit rien.
Mais vous, Monégasques, lorsqu’il y a plus de dix-sept siècles, la barque portant le corps de Dévote quitta l’île de beauté pour venir s’échouer ici, vos aïeux ont accordé une sépulture au corps supplicié de la jeune fille. Vos aïeux vivaient la miséricorde que le pape François nous demande de redécouvrir durant cette Année sainte.
Ces gestes de miséricorde, vous les avez maintenus dans votre longue tradition, grâce à vos confréries, et par le biais des actions caritatives et humanitaires parrainées par la famille princière.
Le pape François a rappelé ces gestes concrets de miséricorde à ceux qui les auraient oubliés. J’en cite une partie : « Donner à manger aux affamés, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, accueillir les étrangers, assister les malades, visiter les prisonniers, ensevelir les morts » - comme vos aïeux l’ont fait pour sainte Dévote.
Ces actions bien concrètes sont des creusets de civilisation, car elles restaurent les êtres humains dans leur dignité, créent des liens sociaux, apportent de la chaleur humaine. La Méditerranée a été le théâtre de conflits au cours de l’Histoire, mais elle est aussi le berceau et le creuset de notre civilisation. Puisse Monaco rester un havre de paix, de justice et de charité, à l’ombre de son « rocher », et sous la protection de sainte Dévote.
L’histoire du déluge nous parle enfin d’une société soudain réduite à sa plus simple expression, celle de la cellule familiale. Dans la Bible, seuls Noé, sa femme, leurs trois fils et leurs belles-filles, ont pu trouver refuge dans l’arche. La famille comme microsociété demeure, alors que les empires périssent. Et ce n’est pas un hasard si les régimes totalitaires cherchent à séparer les enfants de leurs parents. La famille est le premier lieu où se créent des liens sociaux, où l’on fait l’apprentissage de la différence. L’histoire de sainte Dévote et de la Principauté nous parle, elle, d’un Rocher qui a été au long des siècles un refuge pour ses habitants, d’une société qui a su créer des liens entre ses habitants.
Dans un monde en crise, tout utopiste entrevoit « la possibilité d’une île », pour reprendre le titre d’un livre de Michel Houellebecq. On peut considérer la construction d’une microsociété parfaite comme irréaliste. Toujours est-il que certains s’y aventurent, avec pour modèle la famille, et en se référant même à l’arche de Noé.
C’est ainsi que Lanza del Vasto a donné en 1948 le nom de Communauté de l’Arche à sa communauté fondée sur le modèle des ashrams indiens : « une communauté qui, disait-il, de propos délibéré, s’applique à vivre de telle façon que si tout le monde en faisait autant il n’y aurait ni guerre, ni misère, ni servitude, ni révolte. »
C’est ainsi également que le canadien Jean Vanier a donné en 1964 le nom de L’Arche au lieu de vie qu’il venait de créer dans l’Oise pour accueillir des personnes exclues en raison de leur handicap mental.
Ces microsociétés ne sont viables que si elles vivent sous un régime particulier, qui n’est pas celui des coups d’État permanents, ni celui de l’immobilisme permanent, mais qui est celui de la conversion permanente.
Cela vaut aussi pour nous. À l’heure où nous sommes témoins de violences exacerbées autour de nous, nous prenons conscience que ce n’est pas la guerre qui fait exception dans notre monde, mais bien au contraire la paix. Tout l’art de se gouverner soi-même consiste à endiguer la violence qu’on porte en soi - par le sport par exemple - ; tout l’art de gouverner les autres consiste dans notre capacité à transformer leur énergie destructrice en énergie positive.
Mais de toute façon, quelle que soit l’énergie dont nous sommes habités, quel que soit le poste que nous occupons, nous allons inéluctablement vers une perte d’autonomie et vers un rétrécissement du champ des possibles. Sainte Dévote en a fait l’expérience de manière brutale. Alors que la vie s’ouvrait devant elle, d’un coup, elle n’a plus eu que deux possibilités : soit la mort avec le Christ, soit la vie en reniant le Christ. Elle a choisi la mort avec le Christ. Aujourd’hui encore combien d’hommes et de femmes sous la menace du terrorisme font le choix de la mort avec le Christ.
Pour beaucoup d’entre nous, ce rétrécissement du champ des possibles ne vient qu’avec l’âge. Jeune, tout nous semble possible. Au jeune qui croit en Dieu, sa prière ne consiste le plus souvent qu’à demander à Dieu un coup-de-pouce dans ses projets. Et puis avec l’âge, on apprend que ce qu’on peut faire n’est rien à côté de ce qu’on doit subir et supporter. À la suite de Jésus, à son école, on apprend à accepter, à offrir. Jésus, qui avait pourtant tout pouvoir sur ses bourreaux, a choisi de leur obéir. Avec lui, nous apprenons à aller là où, au premier abord, nous ne serions jamais aller. Plus ou moins contraints, nous acquiesçons. Et lorsque nous acceptons enfin l’inéluctable - comme sainte Dévote -, lorsque nous disons enfin oui à Dieu même dans ce qui nous diminue, alors Dieu vient en nous avec sa paix, alors nous devenons vainqueurs du monde (Jn 5,5), alors le filet se rompt (Psaume 123,7), et nous échappons au désespoir, à la révolte.
Peut-être que tout ce que nous avons entrepris, construit avec tant de cœur, d’ardeur, de sueur, sera détruit après nous. Peut-être... Mais cela ne nous appartient plus. Seule compte notre vie dans le Seigneur, et nous avons confiance en lui (Sg 3,9). C’est cette vie dans le Seigneur qui nous fait continuer à aller de l’avant. Sainte Dévote a été transportée morte dans sa barque. Mais à juste titre l’artiste Cyril de La Patellière l’a représentée vivante, tendue vers l’avant, comme une figure de proue. Oui, sainte Dévote paraît morte dans la barque, mais elle est en réalité vivante. Elle lâche la colombe.
Elle la suit. Elle sait qu’elle va quelque part. Elle ne sait pas où. Mais elle sait qu’avec Dieu elle ne saurait errer. (Sg 3,1)
Tout comme sainte Dévote, le chrétien est sûr que Dieu prépare un heureux dénouement, un accomplissement pour notre humanité.
Tout l’inverse d’un retour au néant, d’une catastrophe finale dont le déluge de la Bible serait l’annonce. La résurrection du Christ est la promesse et le gage de cette eucatastrophe finale (pour reprendre un mot forgé par le chrétien Tolkien, l’auteur du Seigneur des anneaux). La résurrection du Christ est eucatastrophe par excellence, c’est-à-dire une « bonne » catastrophe.
Avec la résurrection, à un moment précis, la situation s’est complètement retournée. On croyait la mort devoir l’emporter, et la voici finalement vaincue ! C’est pourquoi comme saint Paul, comme sainte Dévote, comme tous les martyrs qui ont gardé l’espérance, nous pouvons nous écrier, cette fois-ci non pas dans un déluge d’effroi, mais bien au contraire dans un déluge de triomphe et de joie : « Mort, où est ta victoire ? » (1 Co 15,55) »
A l’issue de la célébration, S.A.S. le Prince, accompagné de S.A.S. la Princesse Charlène, offrait ensuite en Son Palais un déjeuner auquel assistaient M. le Conseiller de Gouvernement pour les Relations extérieures et la Coopération, assurant les fonctions de Ministre d’Etat, et Mme Gilles Tonelli ; S.Exc. Mgr Bernard Barsi, Archevêque de Monaco ; M. le Secrétaire d’Etat et Mme Jacques Boisson ; M. Georges Lisimachio, Chef du Cabinet de S.A.S. le Prince ; Lcl Laurent Soler, Chambellan de S.A.S. le Prince ; M. Patrice Cellario, Conseiller de Gouvernement pour l’Intérieur ; S.Exc. Mgr Luigi Travaglino, Nonce apostolique ; S.E. M. l’Ambassadeur de Monaco près le Saint-Siège et Mme Claude Giordan ; M. le Maire de Monaco et Mme Georges Marsan ; M. le Chanoine César Penzo, Chapelain du Palais Princier ; S.Exc. Mgr Jean-Michel Di Falco Leandri, Evêque de Gap et d’Embrun ; S.Exc. Mgr André Marceau, Evêque de Nice ; S.Exc. Mgr Antonio Suetta, Evêque de Vintimille - San Remo (Italie) ; S.Exc. Mgr Jean Bonfils, Evêque émérite de Nice ; Très Révérendissime Père Aldino Kiesel, Supérieur Général des Oblats de Saint François de Sales ; M. l’Abbé Guillaume Paris, Vicaire général ; M. l’Abbé Daniel Deltreuil, Curé de la Cathédrale ; M. l’Abbé Joseph Di Leo, Curé de Saint-Nicolas ; Père Marc Gherardi, Curé de Saint-Charles ; M. l’Abbé Frédéric Constant, Curé de Porto-Vecchio (Corse-du-Sud) ; M. l’Abbé Olivier Mathieu, Administrateur paroissial à la Paroisse Saint-Martin/Sacré Cœur ; Père William McCandless, Fondation Princesse Charlène ; M. le Maire de Lucciana (Haute-Corse) et Mme Joseph Galletti ; M. le Maire de Porto-Vecchio (Corse-du-Sud) et Mme Georges Mela.
A l’issue du déjeuner, S.A.S. le Prince Souverain a remis à S.Exc. Mgr Jean-Michel Di Falco Leandri, Evêque de Gap et d’Embrun, une médaille représentant sainte Dévote.