TRIBUNAL SUPRÊME de la Principauté de Monaco - EXTRAIT
Audience du 24 janvier 2025
Lecture du 7 février 2025
Recours tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du 8 août 2023 du Ministre d’État prononçant la révocation de la décision d’autorisation d’exercice professionnel de R.D., ensemble la décision du 2 janvier 2024 portant rejet de son recours gracieux.
En la cause de :
R.D., né le jma à Rimini (Italie), de nationalité italienne, demeurant x1 à Monaco ;
Ayant primitivement élu domicile en l’étude de Maître Arnaud ZABALDANO, Avocat-défenseur près la Cour d’appel de Monaco, puis en celle de Maître Arnaud CHEYNUT, Avocat-défenseur près la même Cour et plaidant par ledit Avocat-défenseur ;
Contre :
L’État de Monaco représenté par le Ministre d’État, ayant pour Avocat-défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par Maître Jacques MOLINIE, Avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation de France ;
LE TRIBUNAL SUPRÊME
Siégeant et délibérant en Assemblée plénière,
Après en avoir délibéré :
1 Considérant que R.D., de nationalité italienne, titulaire d’une autorisation d’exercer la profession de marchand de biens immobiliers en Principauté de Monaco délivrée le 16 mai 2013, a fait l’objet d’une révocation de son autorisation d’exercer cette activité professionnelle par une décision du Ministre d’État du 8 août 2023, notifiée le 18 août suivant ; qu’il a formé le 18 octobre 2023 un recours gracieux contre cette décision lequel a été rejeté par le Ministre d’État par une décision du 2 janvier 2024, réceptionnée le 4 janvier suivant ; que R.D. demande l’annulation pour excès de pouvoir de la décision de révocation du Ministre d’État du 8 août 2023, ensemble la décision du 2 janvier 2024 portant rejet du recours gracieux ;
Sur le cadre juridique applicable au litige
2. Considérant, en premier lieu, d’une part, qu’aux termes de l’article 1er de la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991 concernant l’exercice de certaines activités économiques et juridiques : « Les activités artisanales, commerciales, industrielles et professionnelles peuvent être exercées, à titre indépendant, dans les conditions prévues par la présente loi, à l’exception des activités ou des professions dont l’accès est déjà soumis à autorisation. (…). » ; qu’aux termes de l’article 5 de cette loi : « L’exercice des activités visées à l’article premier par des personnes physiques de nationalité étrangère est subordonné à l’obtention d’une autorisation administrative. (…) » ; qu’aux termes de l’article 9 de cette loi : « Par décision du Ministre d’État, la déclaration visée aux articles 2, 3 et 4 peut être privée d’effets ou suspendue en ses effets et l’autorisation mentionnée aux articles 5, 6, 7 et 8 suspendue en ses effets ou révoquée dans les cas suivants : (…) 5° s’il advient qu’il [le titulaire de l’autorisation] ne présente plus toutes les garanties de moralité (…) » ; qu’aux termes de l’article 10 de la même loi : « Lorsqu’il y a lieu à application de l’article précédent, l’auteur de la déclaration ou le titulaire de l’autorisation est, préalablement à toute décision, entendu en ses explications ou dûment appelé à les fournir. La décision privant d’effets ou suspendant les effets d’une déclaration ou d’une autorisation ne peut être prise qu’après avis d’une commission dont la composition et le mode de fonctionnement sont fixés par ordonnance souveraine. » ; que, d’autre part, aux termes de l’article 1er de la loi n° 1.252 du 12 juillet 2002 sur les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce : « Toute personne physique ou morale qui se livre à titre de profession habituelle à des opérations portant sur les biens d’autrui doit obtenir une autorisation administrative lorsque ces opérations sont relatives à : 1° - l’achat, la vente, l’échange, la location ou sous-location en nu ou en meublé d’immeubles bâtis ou non bâtis, (…). L’autorisation administrative délivrée aux personnes qui exercent l’une des activités visées du chiffre 1° au chiffre 3° porte la mention « Transactions sur immeubles et fonds de commerce. » » ; qu’aux termes de l’article 3 de cette loi : « L’autorisation prévue à l’article premier est accordée aux personnes physiques qui satisfont aux conditions suivantes : « (…) 4° - offrir toutes garanties de moralité professionnelle. » ; qu’enfin, aux termes de l’article 19 de la même loi : « Par décision du Ministre d’État, l’autorisation administrative peut être suspendue ou révoquée dans les cas prévus par l’article 9 de la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991 concernant l’exercice de certaines activités économiques et juridiques ou si l’une des conditions exigées à l’article 3 cesse d’être remplie. » ;
3. Considérant, en second lieu, que l’exigence d’une autorisation comporte nécessairement, pour l’autorité qui accorde cette autorisation, le pouvoir de l’abroger ou de la retirer lorsque le titulaire cesse de remplir les conditions mises à sa délivrance ; que s’il est vrai que l’article 19 précité de la loi du 12 juillet 2002 est placé sous le titre de la section VI intitulée « Sanctions administratives et pénales » et que les articles 9 et 10 précités de la loi du 26 juillet 1991 relatifs respectivement aux pouvoirs conférés au Ministre d’État et à la procédure contradictoire bénéficiant au titulaire de l’autorisation sont intégrés dans la Section IV intitulée « Des sanctions administratives », cette circonstance ne fait toutefois pas obstacle, eu égard à l’absence de portée normative de ces intitulés, à ce que l’autorité compétente pour délivrer une autorisation d’exercice d’une activité professionnelle puisse, dans un but préventif, afin de garantir la moralité d’un secteur d’activité réglementée et de préserver l’ordre public économique, abroger ou retirer cette autorisation dans les cas où les conditions requises pour sa délivrance ne sont plus remplies ; que les mesures de révocation prises sur le fondement de l’article 9 de la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991, lesquelles visent à abroger l’autorisation d’exercer précédemment accordée, peuvent ainsi légalement revêtir le caractère soit d’une mesure de police administrative, soit d’une sanction administrative infligée dans un but répressif ; que, dès lors, contrairement à ce que soutient le requérant, la révocation de l’autorisation d’exercice dont il fait l’objet ne revêt pas, en l’espèce, eu égard à ses motifs et à sa finalité, le caractère d’une sanction ayant le caractère de punition mais doit être regardée comme une mesure de police administrative ;
Sur la légalité externe de la décision de révocation
4. Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs : « Doivent être motivées à peine de nullité les décisions administratives à caractère individuel qui : 1° - restreignent l’exercice des libertés publiques ou constituent une mesure de police ; / […] 3° - refusent une autorisation ou un agrément ; / […] 5° - retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; / […] » ; que le premier alinéa de l’article 2 de la même loi précise que « La motivation doit être écrite et comporter, dans le corps de la décision, l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent son fondement » ;
5. Considérant que la décision de révocation attaquée est notamment au nombre des décisions visées au 1° de l’article 1er de la loi du 29 juin 2006 qui doivent être motivées ; qu’à cet effet, cette décision rappelle d’abord que R.D. a été invité à comparaître devant la commission prévue à l’article 10 de la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991 concernant l’exercice de certaines activités économiques ou juridiques ; qu’elle indique aussi que, selon l’avis émis par cette commission, l’intéressé était susceptible de ne plus présenter toutes les garanties de moralité requises pour exercer sa profession de marchand de biens compte tenu de la condamnation pénale dont il fait l’objet par la Cour d’appel correctionnelle de Monaco pour faux en écriture privée de commerce ou de banque et usage de faux ; qu’elle précise que cette situation constitue, en application du 5° de l’article 9 de la loi n° 1.144 du 26 juillet 1991, un cas de révocation de l’autorisation administrative d’exercer ; qu’elle mentionne encore que l’autorisation est révoquée après examen et à la suite de l’audition de l’intéressé par la commission ; qu’ainsi, loin de se limiter à des « motifs hypothétiques » comme le prétend le requérant, la décision comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement ; que, par ailleurs, pour contester la régularité de la motivation de cette décision, le requérant ne saurait utilement arguer de ce que l’avis de la commission n’a pas été porté à sa connaissance ; qu’au demeurant, l’autorité administrative, qui s’est appropriée le sens et le contenu de cet avis, en a mentionné la teneur dans sa décision ; que, par suite, le moyen tiré de ce que cette décision serait insuffisamment motivée au regard des prescriptions de la loi du 29 juin 2006 susvisée doit être écarté ;
Sur la légalité interne de la décision de révocation
6. Considérant, en premier lieu, qu’il ressort des pièces du dossier, et notamment des termes mêmes de la décision attaquée, que pour prononcer la révocation de l’autorisation d’exercice de l’activité de marchand de biens précédemment accordée à R.D., le Ministre d’État a relevé que l’intéressé ne présentait plus toutes les garanties de moralité requises pour l’exercice de cette profession en se fondant sur les motifs tirés, d’une part, de ce que M.D. a été condamné aux peines de quatre mois d’emprisonnement avec sursis et de 18.000 euros par une décision définitive de la Cour d’appel correctionnelle de Monaco pour faux en écriture privée de commerce ou de banque et usage de faux et, d’autre part, de ce que la commission susvisée a émis l’avis selon lequel cette condamnation créait un doute sur la moralité professionnelle de l’intéressé ; qu’eu égard à la nature et à la gravité des faits pour lesquels M.D. a été condamné tant en première instance qu’en appel par les juridictions pénales de Monaco et compte tenu des caractéristiques de l’activité commerciale exercée et des spécificités du secteur immobilier, le Ministre d’État a pu, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, prononcer la révocation de l’autorisation d’exercer accordée à R.D. dès lors que celui‑ci ne présentait plus, à la date à laquelle a été prise la décision attaquée, les garanties de moralité requises en vue de poursuivre l’exercice de l’activité de marchand de biens immobiliers pour laquelle il avait bénéficié d’une autorisation ;
7. Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. ».
8. Considérant qu’il ne ressort pas des pièces du dossier, et notamment des éléments produits par le requérant, que la mesure de révocation attaquée, qui n’emporte pas interdiction générale d’exercer une activité en Principauté et a été légalement prise en vue de la préservation de l’ordre public, porterait au droit au respect de la vie privée et familiale de l’intéressé une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise ; qu’elle n’a, dès lors, pas méconnu les stipulations de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
9. Considérant, en troisième et dernier lieu, ainsi qu’il a été dit plus haut, que la décision de révocation attaquée ne constitue pas, en l’espèce, une sanction ayant le caractère d’une punition mais une mesure de police administrative ; que, par suite, le requérant ne saurait utilement soutenir que cette décision présente le caractère d’une sanction disproportionnée par rapport au manquement reproché ; que ne peuvent pas davantage être utilement invoqués à l’encontre de cette mesure de révocation les moyens tirés de la violation des principes constitutionnels régissant la matière répressive tels que les principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité des peines découlant de l’article 20 alinéa 1er de la Constitution ; qu’enfin, en l’absence en l’espèce de cumul de sanctions pénales et administratives, doit être écarté comme inopérant le moyen tiré de la violation de la règle « non bis in idem » telle que prévue à l’article 4 du protocole n° 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme ;
10. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que R.D. n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision du Ministre d’État du 8 août 2023 portant révocation de l’autorisation d’exercer la profession de marchand de biens immobiliers et de la décision du 2 janvier 2024 portant rejet de son recours gracieux ;
Décide :
Article Premier.
La requête de R.D. est rejetée.
Art. 2.
Les dépens sont mis à la charge de R.D..
Art. 3.
Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d’État.
Pour extrait certifié conforme à l’original délivré en exécution de l’article 37 de l’Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963.
Le Greffier en Chef,
N. Vallauri.