TRIBUNAL SUPRÊME de la Principauté de Monaco - EXTRAIT
Audience du 8 mars 2024
Lecture du 15 mars 2024
Recours en annulation pour excès de pouvoir de la décision du 20 avril 2023 de la Commission de licenciement refusant le licenciement de M. J. B. et de la décision du 5 mai 2023 de l’Inspecteur du Travail indiquant les motifs de cette décision.
En la cause de :
La SOCIETE ANONYME (S. A.) A., dont le siège social est x1 à Paris (France), représentée par son agent en exercice, domicilié en cette qualité audit siège ;
Ayant élu domicile en l’étude de Maître Thomas GIACCARDI, Avocat‑défenseur près la Cour d’appel de Monaco, et plaidant par Maître Thomas BREZZO, Avocat‑défenseur près la même Cour ;
Contre :
L’État de Monaco, représenté par le Ministre d’État, ayant pour Avocat‑défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par la SCP PIWNICA‑MOLINIÉ, Avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation de France ;
En présence de :
M. J. B., né le jma, demeurant x2 à Menton (France), intervenant au soutien de l’État ;
Ayant élu domicile en l’étude de Maître Sarah FILIPPI, Avocat‑défenseur près la Cour d’appel de Monaco, et plaidant par Maître Aurélie SOUSTELLE, Avocat au Barreau de Nice ;
LE TRIBUNAL SUPRÊME
Siégeant et délibérant en assemblée plénière,
…/…
Après en avoir délibéré :
1. Considérant que la SOCIETE ANONYME A. demande l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du 20 avril 2023 de la Commission de licenciement refusant le licenciement de M. J. B. et de la décision du 5 mai 2023 de l’Inspecteur du Travail indiquant les motifs de cette décision ;
Sur l’intervention de M. J. B.
2. Considérant que M. J. B. justifie, en sa qualité de salarié délégué du personnel, d’un intérêt suffisant au rejet de la requête tendant à l’annulation de la décision refusant son licenciement ; qu’ainsi, son intervention au soutien de la demande de l’État est recevable ;
3. Considérant, en revanche, que l’intervenant n’est pas recevable à présenter des conclusions étrangères à celles des parties ; que la S. A. A. est ainsi fondée à soutenir que sont irrecevables les conclusions présentées par M. B. tendant à la condamnation de la requérante à réparer le préjudice qu’il estime avoir subi du fait de l’acharnement dont ferait preuve la S. A. A. à son encontre ;
Sur les conclusions d’annulation
4. Considérant qu’aux termes de l’article 16 de la loi n° 459 du 19 juillet 1947 portant modification du statut des délégués du personnel, modifiée : « Tout licenciement d’un délégué du personnel titulaire ou suppléant devra être soumis à l’assentiment d’une commission ainsi composée : /a) L’inspecteur du travail, président ; /b) Deux représentants du syndicat patronal représentatif de la profession de l’employeur ; /c) Deux représentants du syndicat ouvrier représentatif de la profession du délégué du personnel [...] » ;
5. Considérant qu’aux termes de l’article 1er de l’Ordonnance Souveraine n° 2.528 du 3 juin 1961 relative aux modalités de licenciement des délégués du personnel : « L’assentiment de la commission prévue par l’Ordonnance‑Loi n° 696, du 15 novembre 1960, susvisée, pour le licenciement d’un délégué du personnel titulaire ou suppléant, d’un ancien délégué ou d’un candidat aux fonctions de délégué, devra être demandé par pli recommandé, reçu par l’inspecteur du travail [...]. La demande devra préciser les motifs et les circonstances invoqués par l’employeur à l’appui de sa décision » ;
6. Considérant qu’en vertu de ces dispositions, les salariés mentionnés à l’article 1er précité de l’Ordonnance Souveraine du 3 juin 1961 bénéficient, dans l’intérêt de l’ensemble des salariés qu’ils représentent, d’une protection exceptionnelle ; que, dans le cas où la demande d’assentiment au licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à la Commission de licenciement de rechercher, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d’une gravité suffisante pour justifier son licenciement ;
7. Considérant, en l’espèce, que M. B. a procédé, entre le 19 août 2021 et le 21 juin 2022, à l’ouverture de huit comptes bancaires au nom d’une société déjà cliente de la S. A. A. ; que cette société agissait pour le compte de tiers qui se sont révélés les bénéficiaires effectifs de ces comptes et dont certains sont apparus ressortissants de pays sous sanctions ;
8. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier qu’en agissant ainsi, M. B. a méconnu les procédures en vigueur au sein de la S. A. A. en matière de connaissance du client et de processus applicable à une entrée en relation ; que ce manquement aux obligations professionnelles a placé son employeur en contrariété avec la législation relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ainsi qu’avec les sanctions internationales prises à l’encontre de la Russie dans le cadre du conflit russo‑ukrainien ; qu’ainsi, M. B. a commis une faute d’une gravité suffisante pour justifier son licenciement ; que c’est donc à tort que la Commission de licenciement a refusé de donner son assentiment au licenciement de M. B. ;
Décide :
Article Premier.
L’intervention de M. J. B. est admise.
Art. 2.
La décision du 20 avril 2023 de la Commission de licenciement refusant le licenciement de M. B. et la décision du 5 mai 2023 de l’Inspecteur du Travail indiquant les motifs de cette décision sont annulées.
Art. 3.
Les conclusions présentées par M. B. tendant à la condamnation de l’État à réparer le préjudice qu’il estime avoir subi du fait de l’acharnement de la part de la SOCIETE ANONYME A. à son encontre sont rejetées.
Art. 4.
Les dépens sont mis à la charge de l’État.
Art. 5
Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d’État.
Pour extrait certifié conforme à l’original délivré en exécution de l’article 37 de l’Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963.
Le Greffier en Chef,
V. Sangiorgio.