TRIBUNAL SUPRÊME de la Principauté de Monaco - extrait - Audience du 9 juin 2023 - Lecture du 23 juin 2023
Recours en annulation pour excès de pouvoir de la décision du 25 février 2021 rejetant la demande de M. M. tendant à la suppression du classement de la Villa XXXX au nombre des éléments de bâti remarquables ou, à défaut, à la limitation du classement de ce bâtiment à sa seule façade sur rue et de la décision implicite du Ministre d’État rejetant le recours gracieux formé le 26 avril 2021 contre cette décision.
En la cause de :
M. M. M. ;
Ayant élu domicile en l’étude de Maître Arnaud ZABALDANO, Avocat-Défenseur près la Cour d’appel de Monaco, substitué par Maître Arnaud CHEYNUT, Avocat-Défenseur près la même Cour, et plaidant par la SARL Cabinet BRIARD, Avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation de France ;
Contre :
L’État de Monaco, représenté par le Ministre d’État, ayant pour Avocat-Défenseur Maître Christophe SOSSO et plaidant par la SCP PIWNICA-MOLINIE, Avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation de France ;
LE TRIBUNAL SUPRÊME
Siégeant et délibérant en assemblée plénière,
…/…
Après en avoir délibéré :
1. Considérant que M. M. M., propriétaire de la Villa XXXX, classée comme élément de bâti remarquable par l’Ordonnance Souveraine XXXX, modifiée, portant délimitation et règlement d’urbanisme du secteur des quartiers ordonnancés, a demandé au Ministre d’État la suppression de ce classement ou, à défaut, la limitation du classement de ce bâtiment à sa seule façade sur rue ; que par une décision du 25 février 2021, le Ministre d’État a rejeté cette demande ; qu’il a ensuite rejeté implicitement le recours gracieux formé le 26 avril 2021 contre cette décision ; que M. M. demande au Tribunal Suprême l’annulation pour excès de pouvoir de ces décisions ;
2. Considérant, en premier lieu, qu’en vertu du premier alinéa de l’article 2 de la loi n° 1.312 du 29 juin 2006 relative à la motivation des actes administratifs, « la motivation doit être écrite et comporter, dans le corps de la décision, l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent son fondement » ; qu’il ressort des pièces du dossier que la décision du 25 février 2021 du Ministre d’État comporte l’énoncé des considérations de droit et de fait qui la fondent ; que, par suite, le moyen tiré de ce que cette décision serait, en méconnaissance de la loi du 29 juin 2006, insuffisamment motivée doit donc être écarté ;
3. Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes de l’article 24 de la Constitution : « La propriété est inviolable. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique légalement constatée et moyennant une juste indemnité, établie et versée dans les conditions prévues par la loi » ; que la reconnaissance du caractère « inviolable » de la propriété par l’article 24 de la Constitution n’a ni pour objet ni pour effet de s’opposer à l’adoption de dispositions d’urbanisme réglant dans l’intérêt général les conditions de construction ;
4. Considérant qu’aux termes de l’article 5 bis de l’Ordonnance-loi n° 674 du 3 novembre 1959 concernant l’urbanisme, la construction et la voirie, issu de la loi n° 1.446 du 12 juin 2017 relative à la préservation du patrimoine national : « Le patrimoine culturel immobilier comprend : / Les monuments : œuvres architecturales, de sculpture ou de peinture monumentales, éléments ou structures de caractère archéologique, inscriptions, grottes et groupes d’éléments, qui ont une valeur exceptionnelle universelle ou nationale du point de vue de l’histoire, de l’art ou de la science ; / Les ensembles : groupes de constructions isolées ou réunies, qui, en raison de leur architecture, de leur unité, ou de leur intégration dans le paysage, ont une valeur exceptionnelle universelle ou nationale du point de vue de l’histoire, de l’art ou de la science ; / (…) / Les éléments du patrimoine culturel et historique identifiés et localisés dans les plans de coordination du secteur des ensembles ordonnancés font l’objet, s’il y a lieu, de prescriptions au titre du règlement d’un quartier ordonnancé en vue d’assurer leur protection, leur évolution possible ou leur mise en valeur. / Lorsque les constructions ou les travaux sont de nature à compromettre les dispositions visées au précédent alinéa, les autorisations d’urbanisme sont soit refusées, soit accordées sous réserve du respect des prescriptions particulières déterminées dans l’autorisation » ; que l’article 5 ter de la même Ordonnance-loi, issu de la même loi, dispose : « Les ordonnances souveraines portant règlement particulier d’urbanisme, de construction et de voirie des quartiers ordonnancés déterminent les éléments bâtis et de paysage remarquables à conserver ou à valoriser, ainsi que les conditions générales et éventuellement particulières qui leur sont attachées, dans la mesure où la conservation est justifiée par un impératif de sauvegarde du patrimoine culturel immobilier, notamment le patrimoine architectural et paysager, représentatif de l’histoire de Monaco. /Peuvent être notamment concernés des bâtiments conservés, des surélévations autorisées, des bâtiments à recomposer, des façades à conserver, des éléments de paysage. / La conservation des biens immobiliers n’exclut pas la possibilité de réaliser des travaux d’entretien, de restauration, de réhabilitation, d’aménagement intérieur, des modifications de façades ou de toiture, des surélévations. Les autorisations préalables à la réalisation des travaux indiquent les prescriptions afférentes à ces travaux. / En l’absence de disposition générale ou particulière dans les ordonnances souveraines portant règlement particulier d’urbanisme, seuls sont autorisés les travaux d’entretien, de restauration et de réhabilitation, ainsi que ceux d’aménagement intérieur. / Lors de leur élaboration, les dispositions générales ou particulières, propres aux éléments bâtis et de paysage remarquables figurant aux ordonnances souveraines portant règlement particulier d’urbanisme, de construction et de voirie des quartiers ordonnancés, sont communiquées pour avis au Conseil du patrimoine » ;
5. Considérant, d’une part, que ces dispositions sont notamment destinées à assurer la conservation d’éléments immobiliers qui, en raison de leurs caractéristiques, font partie du patrimoine immobilier culturel de Monaco ; qu’elles répondent ainsi à un motif d’intérêt général ; que le propriétaire d’un bien classé élément de bâti remarquable se trouve soumis à des obligations particulières afin d’en assurer la conservation ; que les constructions ou travaux qui sont de nature à compromettre l’objectif de conservation ne sont pas autorisés ou conditionnés au respect de prescriptions ; qu’il demeure loisible au propriétaire de réaliser des travaux d’entretien, de restauration, de réhabilitation ainsi que d’aménagement intérieur ; qu’en outre, le classement d’un élément immobilier est décidé par l’autorité administrative au regard de ses caractéristiques et de son environnement sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir ; que si le législateur n’a pas prévu d’indemnisation en raison des restrictions apportées à l’exercice du droit de propriété, il demeure loisible au propriétaire d’un bien classé élément de bâti remarquable, s’il s’y croit fondé, de demander réparation à l’État d’un préjudice anormal et spécial sur le fondement du principe constitutionnel d’égalité devant les charges publiques ; qu’ainsi, ces dispositions ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété ;
6. Considérant, d’autre part, que M. M. n’est pas fondé à soutenir qu’à défaut d’avoir organisé une procédure d’enquête publique préalable au classement d’un bien en tant qu’élément de bâti remarquable, le droit monégasque n’assurerait pas, par des garanties procédurales suffisantes, la protection du droit de propriété ;
7. Considérant, en troisième lieu, qu’il ressort de l’ensemble des pièces versées au dossier, après la mesure d’instruction décidée par le Tribunal Suprême, que la Villa XXX, érigée en XXXX, de style XXXX, sise XXXXX est le premier bâtiment à s’être vu reconnaître la qualité d’élément de bâti remarquable ; que cette villa se distingue par sa composition surmontée d’un fronton cintré, son ornementation, son couronnement constitué d’une corniche à modillons et sa toiture ; que son gabarit et sa toiture ont été préservés ; qu’elle est l’un des derniers témoignages de bâtiments d’habitation de style néo-classique en Principauté et de la première période d’urbanisation du quartier au sein duquel elle se situe ; que si les façades latérales de la Villa XXXX ne présentent pas d’éléments architecturaux dignes d’intérêt, elles permettent, grâce aux dégagements situés de chaque côté de l’immeuble, la mise en valeur de la façade principale par rapport aux immeubles voisins ; que le classement de la Villa XXXX répond ainsi à un impératif de sauvegarde du patrimoine architectural représentatif de l’histoire de Monaco ;
8. Considérant qu’il s’ensuit que le moyen, soulevé par voie d’exception, tiré de ce que les dispositions de l’Ordonnance Souveraine du XXXX conférant à la Villa XXXX le statut d’élément de bâti remarquable méconnaîtraient les articles 5 bis et 5 ter de l’Ordonnance-loi n° 674 du 3 novembre 1959 n’est, en tout état de cause, pas fondé ; que, pour les mêmes motifs, M. M. n’est pas fondé à soutenir que les décisions attaquées, en ce qu’elles refusent le déclassement tant total que partiel du bâtiment, seraient entachées d’une erreur manifeste d’appréciation ;
9. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. M. n’est pas fondé à demander l’annulation des décisions qu’il attaque ;
Décide :
Article Premier.
La requête de M. M. M. est rejetée.
Art. 2.
Les dépens sont mis à la charge de M. M..
Art. 3.
Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre d’État.
Pour extrait certifié conforme à l’original délivré en exécution de l’article 37 de l’Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963.
Le Greffier en Chef,
V. Sangiorgio.