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Addendum aux travaux préparatoires de la loi n° 1.523 du 16 mai 2022 relative à la promotion et la protection des droits des femmes par la modification et l'abrogation des dispositions obsolètes et inégalitaires, publiés au Journal de Monaco du 27 mai 2022.

  • No. Journal 8601
  • Date of publication 29/07/2022
  • Quality 100%
  • Page no.

Avis de la Commission de Mise à jour des Codes portant sur les conséquences juridiques liées à la suppression du standard juridique du « bon père de famille ».

La Commission de Mise à jour des Codes a été consultée à la demande du Gouvernement Princier, lui-même saisi par la Commission des droits de la femme et de la famille du Conseil national, sur les conséquences pratiques liées à la suppression envisagée du standard juridique du « bon père de famille ».

Le projet de loi n° 1029 relative à la promotion et la protection des droits des femmes par la modification et l’abrogation des dispositions obsolètes et inégalitaires, fait en effet état de la volonté de corriger certaines notions juridiques qui seraient associées à une « conception patriarcale de la famille », et propose, à ce titre, de remplacer le standard du « bon père de famille » par l’adverbe « raisonnablement ».

Suite à la délibération de la formation plénière du 6 octobre 2021, la Commission de Mise à jour des Codes émet l’avis suivant :

D’un point de vue historique, le bon père de famille est un concept issu du droit romain : bonus pater familia. Ce concept avait une signification strictement technique et ne retraçait en rien une conception quelconque de la famille : ainsi, même sans enfant une personne était amenée à agir en « père de famille », c’est-à-dire en adoptant un comportement tel qu’attendu dans la gestion d’un patrimoine ou de biens. Historiquement, la notion n’avait donc rien à voir avec la famille, ni la qualité de père ou de mère.

Depuis le Code civil de 1804, la notion est utilisée en deux endroits, d’abord, en droit des biens (avec le concept de « destination du père de famille ») et ensuite, pour identifier un comportement prudent et diligent dans la gestion des biens d’autrui ainsi que pour caractériser la faute de celui qui a causé un dommage injuste à autrui à l’occasion de ladite gestion ou dans l’usage fait des biens d’autrui. Il en ressort, d’une part, que la notion ne recouvre pas les mêmes facettes selon ses domaines d’application et, d’autre part, qu’elle ne renvoie pas à une idée de genre mais à un modèle de comportement.

Le standard juridique de bon père de famille apparaît ainsi comme une notion ancienne, complexe et multiforme qui s’est adaptée aux besoins de chaque époque et ne peut, pour cette raison, se résumer à une seule question de vocabulaire. Le bon père de famille c’est une personne normalement prudente, diligente, attentive, raisonnable, responsable, mais aussi prudente, honnête et intègre... Le bon père de famille c’est aussi le standard du bien et de la morale. Il serait ainsi plus précis d’énoncer la « personne normalement prudente, attentive, diligente, honnête, raisonnable et soucieuse des biens ou intérêts qui lui sont confiés », pour éviter le décalage entre le concept de « bon père de famille » et de personne « raisonnable », mais cela alourdirait l’expression législative.

Ce concept illustre aussi le besoin des systèmes juridiques de disposer de termes génériques, manquant volontairement de précisions, afin de permettre au juge de disposer de la souplesse nécessaire à l’évolution de la société.

En France, la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 a remplacé l’expression qualifiée de « datée », « contestable » et « désuète » de « bon père de famille » par l’adverbe « raisonnablement ». En revanche, pour des raisons techniques et de sécurité juridique, l’expression bon père de famille a été conservée en droit des biens, pour les servitudes dites par destination du père de famille (articles 692, 393 et 672 du Code civil).

En dépit de cette évolution, contestée par une partie de la doctrine, la notion, dépourvue aux yeux des juristes de toute visée de genre, est encore enseignée dans les facultés de droit pour expliquer ce qui se trouve derrière le nouveau vocable, d’origine anglo-saxonne, de « personne raisonnable ».

Il est également intéressant de souligner que la notion de « bon père de famille » reste présente dans tous les Codes civils mondiaux issus du Code civil français de 1804 (25 codes de pays différents), sans que cela ne pose de difficulté particulière.

De la même manière, le concept anglo-saxon de « reasonnable man » (et non « reasonnable human »), qui renvoie à l’homme raisonnable, ne pose pas de difficultés en droit anglo-saxon, ni pour le personnel politique, ni devant la société civile.

À l’analyse des textes, il apparaît délicat de réduire la notion de bon père de famille au seul adverbe « raisonnablement ». Lorsqu’une notion est bien installée en droit, il n’est jamais facile d’en changer la forme sans risquer d’en altérer la signification et compromettre ainsi, l’ordre juridique. Par exemple, gérer de façon raisonnable, n’exclut pas de prendre des risques ; mais gérer en bon père de famille ce n’est pas le cas. Le changement de terme induirait par conséquent une différence dans la façon de raisonner. Ici comme ailleurs, sous le poids du temps, tout changement dans le vocabulaire juridique entraînera un changement dans le droit. Les expressions qui sont des concepts destinés à produire des effets de droit ne sont pas neutres de ce point de vue et un changement de terminologie comporte le danger d’emporter une modification du concept lui-même.

S’il fallait envisager une substitution d’expression, il pourrait être envisagé, mais sous réserve de ce qui a été dit précédemment, de remplacer la notion de bon père de famille par une liste d’adjectifs chaque fois que cela ne conduira pas à une perte de sens juridique.

La Commission de Mise à jour des Codes se prononce néanmoins pour le maintien du concept de « bon père de famille » dans le droit des servitudes, pour les mêmes motifs de sécurité juridique qui ont amené la France à ne pas modifier l’énonciation législative dans ce domaine. Par ailleurs, lorsqu’il semble possible de modifier l’expression sans risque d’altération du sens, la Commission propose une évolution des termes et donc, des rédactions différentes en fonction des articles du Code. Toutefois, dans un certain nombre d’autres hypothèses, la modification de l’expression paraît plus difficile, c’est la raison pour laquelle il est recommandé de ne pas modifier l’expression.

• En droit des biens au sens strict, la « destination du père de famille » est présente aux seuls articles 577 et 578 du Code civil : il est recommandé de ne pas modifier l’expression actuellement présente en droit des servitudes pour des raisons de sécurité juridique.

   - article 577 : La destination du père de famille vaut titre à l’égard des servitudes continues et apparentes.

   - article 578 : Il n’y a destination du père de famille que lorsqu’il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire et que c’est par lui que les choses ont été mises dans l’état duquel résulte la servitude.

• Sous l’angle de la gestion des biens : il n’apparaît pas prudent de remplacer l’expression « bon père de famille » par « personne raisonnable » ou « raisonnablement » dans les textes ci-dessous, car l’expression la plus adaptée serait « personne normalement prudente, attentive, diligente, raisonnable et soucieuse des biens ou intérêts qui lui sont confiés » ; toutefois, cette solution, certes plus précise mais excessivement longue, générerait de nouveaux risques d’interprétation. Aussi est-il recommandé de maintenir l’expression initiale de « bon père de famille » dans les articles suivants :

   - article 97 : alinéa premier (envoi en possession après déclaration d’absence) : Le conjoint et tout autre bénéficiaire de l’envoi en possession doivent jouir en bon père de famille.

   - article 486 (usufruit) : Il [l’usufruitier] donne caution de jouir en bon père de famille, s’il n’en est dispensé par l’acte constitutif de l’usufruit. Cependant les père et mère ayant l’usufruit légal du bien de leurs enfants, le vendeur ou le donateur sous réserve d’usufruit, ne sont pas tenus de donner caution.

   - article 1605, alinéa 1 (baux à ferme) : Si le preneur d’un héritage rural ne le garnit pas des bestiaux et des ustensiles nécessaires à son exploitation, s’il abandonne la culture, s’il ne cultive pas en bon père de famille, s’il emploie la chose louée à un autre usage que celui auquel elle a été destinée, ou, en général, s’il n’exécute pas les clauses du bail, et qu’il en résulte un dommage pour le bailleur, celui-ci peut, suivant les circonstances, faire résilier le bail.

   - article 1644 (baux à cheptel) : Le preneur doit les soins d’un bon père de famille à la conservation du cheptel.

-  article 1718 (prêt à usage) : L’emprunteur est tenu de veiller, en bon père de famille, à la garde et à la conservation de la chose prêtée. Il ne peut s’en servir qu’à l’usage déterminé par sa nature ou par la convention ; le tout à peine de dommages-intérêts, s’il y a lieu.

-  article 1801, alinéa 1 (séquestre et dépôt judiciaire) : L’établissement d’un gardien judiciaire produit, entre le saisissant et le gardien, des obligations réciproques. Le gardien doit apporter, pour la conservation des effets saisis, les soins d’un bon père de famille.

En revanche, il apparaît possible de remplacer l’expression « en bon père de famille » dans les textes suivants :

   - article 376, alinéa 2 (tutelle) : Il administre ses biens en bon père de famille parent.

   - article 512 (droit d’usage) : L’usager, et celui qui a un droit d’habitation, doivent jouir en bons pères de famille personnellement et avec tous les soins attendus.

   - article 992, alinéa 1 (obligation de donner) : L’obligation de veiller à la conservation de la chose, soit que la convention n’ait pour objet que l’utilité de l’une des parties, soit qu’elle ait pour objet leur utilité commune, soumet celui qui en est chargé à y apporter tous les soins d’un bon père de famille attendus.

   - article 1221, alinéa 1 (gestion d’affaires) : Il est tenu d’apporter à la gestion de l’affaire tous les soins d’un bon père de famille attendus.

   - article 1568 (louage des choses) : Le preneur est tenu de deux obligations principales :

     * 1 ° D’user personnellement et avec tous les soins attendus de la chose louée en bon père de famille, suivant la destination qui lui a été donnée par le bail, ou suivant celle présumée d’après les circonstances, à défaut de convention ; (...)

        Le texte dirait alors que la personne doit user personnellement du bien et avec tous les soins attendus, et l’occuper suivant la destination qui lui a été donnée. En effet, respecter la destination du bien équivaut à un comportement de bon père de famille.

• S’agissant des dispositions applicables au contrat « habitation-capitalisation » : La modification proposée est en lien avec celle proposée à l’article 1568 du Code civil.

   - article 13, 2e tiret, de la loi n° 1.357 du 19 février 2009 définissant le contrat « habitation-capitalisation » : Le contrat « habitation-capitalisation » emporte pour son titulaire les obligations suivantes :

   - payer le prix du contrat « habitation-capitalisation » à la signature ou aux termes convenus ;

   - user personnellement du logement, avec tous les soins attendus, en bon père de famille et l’occuper de manière effective, suivant la destination qui lui a été donnée par le contrat « habitation-capitalisation », et payer les charges locatives y afférentes ; (...)

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