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Erratum au discours de rentrée des Tribunaux de l'année judiciaire 2018-2019, publié au Journal de Monaco du 30 novembre 2018.

  • No. Journal 8412
  • Date of publication 14/12/2018
  • Quality 100%
  • Page no.

Il fallait lire de la page 3354, colonne de droite, 5ème paragraphe, à la page 3356 colonne de gauche, 9ème paragraphe :
« Me Yann Lajoux, Bâtonnier de l'Ordre des Avocats et Avocats-défenseurs de la Principauté de Monaco, prenait la parole :
« Je vous remercie Madame la Première Présidente, Monseigneur, Mesdames et Messieurs les hautes autorités, Mesdames, Messieurs,
C'est un honneur et un immense plaisir pour le Bâtonnier que de s'exprimer à l'occasion de ce temps fort qui réunit la famille judiciaire monégasque pour la rentrée solennelle.
Tout d'abord, je tiens à rendre hommage à nos regrettés Bâtonniers et Confrères Jean-Pierre Licari et Georges Blot qui nous ont quitté au cours de cette année judiciaire.
Monsieur le Bâtonnier Patrice Lorenzi prendra sa retraite bien méritée ce mois-ci après 50 ans de carrière.
Me Déborah Lorenzi-Martarello a souhaité raccrocher la robe pour devenir Administrateur judiciaire.
Ils manqueront au Barreau de Monaco.
De la stratégie judiciaire : Plaidoirie de connivence ou plaidoirie de rupture
En matière de défense, il y a toujours eu deux méthodes : les procès de connivence (Dreyfus, Challe) ou les procès de rupture (Socrate, Jésus).
Les premiers sauvaient leur tête, les seconds gagnaient leur cause.
La rupture ne se provoque ni ne se fabrique. Elle s'impose.
Son ambition première consiste à rappeler qu'un procès n'est jamais que le procès d'un homme.
Parfois, le prétoire, l'hermine et les robes ne sont pas à la mesure de l'enjeu.
Le décorum s'efface, il faut un vrai spectacle, une vraie performance, une catharsis.
Pour Me Jacques Vergès « la distinction fondamentale qui détermine le style du procès pénal est l'attitude de l'accusé en face de l'ordre public.
S'il l'accepte, le procès est possible, et constitue un dialogue entre l'accusé qui s'explique et le juge dont les valeurs sont respectées.
S'il le refuse, l'appareil judiciaire se désintègre, c'est le procès de rupture ».
La rupture est donc une posture de refus adoptée par l'accusé.
Il rejette la légitimité de la loi dont la méconnaissance lui est reprochée, tout en faisant appel à d'autres normes - qu'elles soient juridiques, morales ou religieuses.
Un procès peut être un moyen de briser le silence sur un sujet.
La maîtrise des outils juridiques, des rapports de force et de la communication peut permettre de déplacer le débat judiciaire.
Ces procès peuvent être menés d'une manière offensive qui renverse la dynamique de l'accusation.
Comme le rappelle d'ailleurs Jacques Vergès, le concept de « vérité » est une fiction idéaliste dans le domaine judiciaire autant que dans le champ philosophique.
Il en va de même de ceux d'innocence, de culpabilité, et bien sûr de justice.
La première chose qu'on assène aux étudiants en droit c'est la distinction fondamentale entre justice et légalité.
Il s'agit de renoncer à cette première idée naïve et de s'imprégner de la réalité technique.
Tous ces éléments sont à prendre en compte pour saisir le fonctionnement de la machine judiciaire et pouvoir élaborer des stratégies d'action puis de défense lucides.
L'inculpé qui a clairement commis les faits qui lui sont reprochés a deux types de stratégies possibles.
Soit il cherche la peine minimum en ménageant le tribunal, en plaidant coupable et en invoquant les circonstances atténuantes - c'est ce que Vergès appelait péjorativement une défense de connivence.
Soit il accepte le risque de la condamnation et il peut alors assumer ses actes et les défendre au nom d'une cause qui le dépasse et à laquelle il subordonne son procès.
Ce choix stratégique de l'accusé est fondamental.
L'État doit mettre en œuvre les moyens pour que chaque justiciable ait un procès équitable, respectant tous ses droits ; mais ces droits savent très bien se contenter d'être formels.
C'est la combativité et la connaissance de l'univers judiciaire qui permettent de se défendre pleinement.
Lorsqu'un procureur et un tribunal ne trouvent pas devant eux des personnes qui s'excusent (de bonne ou mauvaise foi) pour tenter de les amadouer, mais trouvent au contraire des justiciables convaincus qui connaissent leurs droits et déploient une argumentation sur un problème de société, cela change la donne.
Les avocats qui connaissent les codes du tribunal sont mieux à même d'identifier les points à exploiter et peuvent défendre de manière offensive.
Accepter le risque pénal permet de dépasser la logique du débat sur les faits, qui tend à confondre la responsabilité des actes incriminés avec la culpabilité.
Les justiciables qui ont choisi leurs actions reconnaissent généralement les faits qui leurs sont imputés.
Ceci leur permet de déplacer le débat et de le recentrer sur la question de la légitimité de ces actes et du choix de la norme juridique à appliquer.
Leur défense est donc essentiellement consacrée à exposer les raisons qui ont motivé l'action.
Assumer la pleine responsabilité de ses actes permet de se dresser face à l'accusation, de lui répondre de manière construite et de faire peser sur le juge la responsabilité juridique, politique et morale de faire du responsable un coupable.
Plus le combat « sous » le procès est saillant, plus la pertinence du tribunal diminue au profit du débat public : l'affaire se mue en un moyen de mobiliser l'opinion.
Il faut pour cela rééquilibrer voire inverser la distribution des rôles prévue par le protocole judiciaire.
Il faut faire descendre le Procureur de son piédestal et construire la symétrie entre les deux parties.
Une défense combative travaille à expliciter le rapport de force sous-jacent au procès et à le développer en sa faveur à l'intérieur et à l'extérieur du Palais de justice, et ce d'autant plus que le tribunal tendra à le recouvrir.
On peut pointer les contradictions de l'institution avec ses idéaux, en visant notamment son indépendance et son impartialité.
À la contestation de la légitimité juridique du tribunal s'ajoute celle de la légitimité morale de l'accusation.
Ce type de contre-attaque participe à un combat qui dépasse le tribunal et vise l'opinion publique.
Cette défense n'est certes pas légaliste, elle est crûment matérielle et pragmatique.
Lorsque ce sont des lois qui sont mises en cause, la contre-attaque n'en est pas moins possible.
Cela impose un recadrage des débats où l'accusé n'est plus un simple contrevenant devant la loi mais un justiciable faisant face à des injustices ou des irrégularités du fait de l'État.
L'accusation est ainsi malmenée et poussée à se justifier.
Dans la même dynamique on peut utiliser en droit pénal le régime de la liberté de la preuve et la place qu'il accorde aux témoins pour rediriger les débats, voire mettre en cause ses adversaires.
Bien que le juge soit libre d'apprécier dans le cadre de « son intime conviction » la valeur qu'il convient d'apporter aux témoignages, l'accusé devient dans ce cas difficile à caricaturer.
Si dans les cas extrêmes le droit peut être un simple déguisement du conflit, généralement il a une certaine autonomie : il lie plus ou moins le tribunal et il bénéficie d'une certaine légitimité auprès de l'opinion.
C'est pourquoi, même lorsque la défense importe le procès dans le champ social, il est important de ne pas délaisser le champ juridique.
La défense peut attaquer au niveau procédural (vices de forme, etc.) mais surtout elle peut parvenir à mobiliser le droit pour mettre l'accusation en contradiction avec les lois, et pour légitimer sa cause en utilisant de manière innovante certains principes ou certaines normes juridiques supérieures.
Ces contre-attaques permettent de rééquilibrer, sinon d'inverser, la charge morale du procès devant l'opinion.
Elles préparent aussi le terrain pour invoquer des principes supérieurs aux lois.
Lorsque les débats ne portent plus sur les faits, revendiqués par les accusés, mais sur les principes au nom desquels on juge, on touche au méta-judiciaire : au « droit naturel », à la morale.
Or, si le tribunal, occupé à appliquer la loi, ignore autant que possible cette dimension, l'opinion (dont les élus) y est très réceptive.
La défense de rupture dénie par avance toute légitimité à la sentence qui sera prononcée en vertu de la loi ; elle le fait d'abord par conviction et, ensuite, dans un but didactique à destination de ses sympathisants et de l'opinion nationale et internationale afin d'en obtenir le soutien.
Ce recours à des principes supérieurs du droit a aussi lieu dans les procès politiques mus par un combat plus réformiste que révolutionnaire.
La revendication d'Antigone des « lois non écrites, inébranlables, des dieux » contre le droit positif « inique » édicté par Créon en est devenue le symbole, sinon le poncif.
Cette invocation des « lois de la conscience » dont on parle aujourd'hui peut contribuer à modifier le procès en subordonnant la question juridique à la question morale ou politique et en faisant ressortir l'iniquité du droit.
Mais ce ressort existe aussi à l'intérieur du droit.
On peut invoquer une norme supérieure contraire à celle qui est communément appliquée : normes constitutionnelles contre lois, textes et jurisprudences internationales contre droit national.
Ce type d'argumentation est plus facile à entendre par les tribunaux, bien qu'ils rechignent encore à appliquer de nouvelles normes internationales ou des principes juridiques généraux.
Les juges prêts à oser une décision progressiste trouvent là une norme sous l'autorité de laquelle ils peuvent se placer - ce qui d'ailleurs importe pour éviter la cassation.
La jurisprudence est une source indirecte du droit ; on peut demander aux juges d'assumer ce rôle d'interprétation, autant dans le choix de la norme applicable que dans la qualification juridique des faits.
Le fameux arrêt de la Cour d'Appel de Colmar en 1957 qui introduisit une nouvelle notion dans le droit français symbolise cette marge d'action des tribunaux au-delà des textes.
Elle estima que « l'état de nécessité est un des fondements du droit que toutes les civilisations juridiques évoluées, dégagées du légalisme initial, consacrent soit dans la loi soit dans la doctrine et la jurisprudence  ».
Cette défense légaliste facilite la tâche des juges et donc, en principe, les chances dans la bataille judiciaire.
Les décisions des tribunaux et la doctrine s'alimentent entre elles et peuvent être entérinées par la jurisprudence des Cours Supérieures.
Cette notion juridique apparue dans le droit via la jurisprudence peut être invoquée lorsque la défense démontre le danger de la situation dans laquelle se trouve l'accusé.
Elle se combine donc parfaitement avec la phase de contre-accusation et avec la démonstration des témoins que l'accusé participe à une cause d'intérêt général.
« Aujourd'hui, explique François Roux, le droit définit l'état de nécessité comme un « fait justificatif » d'une infraction pénale et considère que celui qui a enfreint la loi pour défendre un intérêt social supérieur, sans aucun intérêt pour lui-même, ne saurait être sanctionné. »
Mais la bataille consiste dorénavant à convaincre le juge « que celui qui a enfreint la loi l'a fait pour répondre à un danger actuel ou imminent, menaçant lui-même ou autrui, et qu'il a utilisé des moyens proportionnés à l'intérêt à défendre ».
Mais mobiliser le droit dans la défense ne doit pas conduire à s'y subordonner.
C'est le risque des plaidoiries trop « légalistes » : elles finissent par déposer leurs armes dans les mains des juges, se mettent à la merci du verdict et ne peuvent ensuite que difficilement le contester.
C'est le type de défense de Me Demange pour Dreyfus, qui s'en remet à « la conscience » des juges.
Pour les avocats de la lignée de Me Labori, défenseur de Zola, utiliser le droit c'est simplement parler la langue du tribunal ; cela permet essentiellement de se protéger contre certains abus et d'apporter des arguments qui font sens pour le tribunal.
Au terme de leur plaidoirie, ils demandent aux juges non seulement d'utiliser au maximum leur pouvoir de créer du droit par l'interprétation, mais surtout de prendre position face à un problème politique, de faire preuve de courage et de donner un exemple.
Un procès est un jeu dont les cartes sont juridiques mais aussi politiques et médiatiques.
Pour être légitime, le procès requiert qu'on donne à l'accusé un droit de parole et que les débats soient publics.
Les défenses combatives s'engouffrent dans cet espace pour attaquer autant sur le plan juridique (vices de forme, etc.) que sur le plan de la légitimité.
Si la défense juge que l'affaire est jouée d'avance, elle doit se concentrer sur ce second plan (le premier étant sous la domination du tribunal).
Bien que la situation soit difficile pour elle, la défense peut déborder le tribunal en jouant des coups auxquels celui-ci n'est pas en mesure de répondre : en invoquant d'autres valeurs, en mettant en cause sa légitimité et en interpellant l'opinion et les médias.
« Dans la défense de rupture, j'avais une liberté d'action face au juge, que lui n'avait pas » déclare Vergès.
Les procès pénaux suscitent toujours une certaine attention de la part de l'opinion.
Ce type de défense, déplaçant hors du tribunal le centre de gravité du procès, transforme celui-ci en une affaire - un outil de pédagogie et de mobilisation.
Si le rendu du verdict sonne le terme du procès devant le tribunal, il n'est pas forcément le moment décisif dans l'affaire que porte la défense.
Pour celle-ci,  le point de basculement peut avoir été un témoignage, une mobilisation, un soutien inattendu, etc..
Des victoires judiciaires peuvent être des échecs politiques - notamment en raison du principe de séparation des pouvoirs : qui exécute les condamnations du pouvoir exécutif ?
La France est régulièrement condamnée par la C.E.D.H. pour les conditions de détention dans ses prisons, mais l'État les ignore et plutôt que de remédier à ces infractions préfère payer des amendes.
À l'inverse une défaite judiciaire peut accompagner, voire participer à une victoire politique.
Le procès de Zola déboucha sur sa condamnation et son exil forcé, mais les débats du procès ainsi que le scandale de sa condamnation conduisirent à la réouverture de l'Affaire Dreyfus, et à la reconnaissance du complot judiciaire 8 ans plus tard.
Les membres du F.L.N. qui ont adopté la défense de rupture collective ont été souvent condamnés à mort, mais aucun n'a été exécuté - puis libérés à l'Indépendance.
Il est donc clair que les procès se jouent au-delà du tribunal et la bataille se joue largement devant l'opinion ; c'est une « affaire » politico-judiciaire.
Révéler la nature politique des débats sous leurs habits juridiques, gagner le soutien de l'opinion, mettre l'adversaire en porte-à-faux : voilà les leviers que la défense, mais aussi l'accusation, tentent d'actionner.
Au niveau symbolique la défense doit alors capitaliser sur les valeurs sociales de sa cause et sur l'hypocrisie ou l'agressivité de l'attaque qu'elle subit.
En listant ces techniques de défense combative, nous n'ignorons pas qu'elles peuvent tout aussi bien l'être par des causes « singulières ».
Des sectes, des accusés de crime contre l'humanité recourent parfois à des stratégies similaires.
Par ailleurs, dans les procès qui ne supportent pas le poids d'enjeux politiques, l'ouverture d'un front extérieur au procès et la mobilisation de l'opinion sont difficilement possibles.
Dans ce contexte, le droit est la meilleure arme, et il faut alors privilégier une défense « légaliste ».
Et il va sans dire que dans certains cas l'Institution judiciaire porte des décisions politiquement progressistes.
Enfin, il convient de se demander à partir de quel moment précisément et en fonction de quels critères devient-il nécessaire de recourir à une défense offensive et de dépasser le strict combat judiciaire ?
En somme, rechercher les points de bascule qui rendent l'utilisation de ces différents éléments de défense stratégiquement utiles.
Entre l'Avocat et le Procureur, chacun, choisit dans le dossier ce qui lui convient : aveux, témoignages, expertises, en fait un montage et raconte une histoire non pas vraie (la Vérité est fondamentalement hors de portée de la Justice), mais vraisemblable.
Et la Juridiction d'abord, l'opinion ensuite, devront choisir entre ces deux versions.
Laquelle triomphera à la fin ?
Non pas la plus vraie mais la plus belle et la plus accommodante.
Merci, Madame la Première Présidente de m'avoir offert l'opportunité de m'exprimer au nom du Barreau à l'occasion de cette audience solennelle.
Merci également à Monsieur le Directeur des Services judiciaires pour l'écoute attentive qu'il prodigue à notre Ordre.
Merci enfin, Monseigneur, de l'honneur que Vous nous faites de par Votre présence ». »
Le reste est sans changement.

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