CONFLIT COLLECTIF DU TRAVAIL OPPOSANT LE SYNDICAT DES EMPLOYES, GRADES ET CADRES DE BANQUE DE MONACO A L'ASSOCIATION MONEGASQUE DES BANQUES
Les arbitres soussignés,
- Mme Claudette GASTAUD, Directeur de l'Action Sanitaire et Sociale ;
- M.Philippe ORTELI, Administrateur délégué d'une entreprise du bâtiment ;
- M.Guy MAGARA, Employé de jeux à la Société des Bains de Mer.
Arbitres désignés par l'arrêté ministériel n° 2000-55 du 7 février 2000 dans le conflit opposant le Syndicat des employés, gradés et cadres de banque de Monaco à l'Association monégasque des banques,
Ouï les parties en leurs demandes, fins et conclusions, à l'occasion des réunions tenues les 3 et 5 avril, 17 mai et 11 septembre 2000, lesdites parties étant représentées :
Pour le Syndicat des employés, gradés et cadres de banque de Monaco, par :
- Mme Anne-Marie PELAZZA, Secrétaire Générale ;
- M.Richard RICORDO, Secrétaire Général Adjoint ;
- Mme Annie OLIVI, Membre du Conseil Syndicat ;
- M.Tony PETTAVINO, Conseiller,
assistés de Me Christine PASQUIER-CIULLA, Avocat-Défenseur près la Cour d'appel de Monaco,
d'une part,
Pour l'Association monégasque des banques, par :
- M. Etienne FRANZI, Président ;
- M. Joseph-Alain SAUZIER, Délégué général ;
- M. Jean-Bernard BUISSON, Vice-Président de la Commission des affaires sociales,
assistés de M. Jean BILLON, Conseil juridique,
d'autre part.
Vu les pièces, documents et conclusions versés aux débats par les parties ;
Vu la loi n° 473 du 4 mars 1948, relative à la conciliation et à l'arbitrage des conflits collectifs du travail, modifiée ;
Vu le procès-verbal de la Commission de Conciliation des conflits collectifs du travail en date du 19 janvier 2000, aux termes duquel le différend soumis à l'arbitrage porte sur
"L'augmentation de 1.000 francs de l'élément non hiérarchisé de la prime bancaire monégasque, actuellement de 459,15 francs".
SUR LA FORME
Attendu que, par lettre adressée le 3 décembre 1999 à S.E.M. le Ministre d'Etat, le Syndicat des employés, gradés et cadres de banque de Monaco a demandé que le conflit qui l'oppose à l'Association monégasque des banques de Monaco soit soumis à la procédure de conciliation et d'arbitrage prévue par la loi n° 473 du 4 mars 1948 susvisée.
Vu le procès-verbal de la Commission de Conciliation en date du 19 janvier 2000 constatant la non-conciliation des parties.
Vu l'arrêté ministériel n° 2000-55 du 7 février 2000 fixant au 30 juin 2000 la date limite impartie aux arbitres pour rendre leur sentence et les Arrêtés Ministériels n° 2000-276 et 2000-347 des 13 juin et 24 juillet 2000 prorogeant respectivement jusqu'au 31 juillet puis au 30 septembre 2000 le délai imparti.
Attendu que la procédure est régulière en la forme et qu'il convient de statuer sur le fond.
SUR LE FOND
Attendu que les parties ne sont pas parvenues à s'entendre sur la demande, dont l'objet est ci-dessus précisé, ni devant la Commission de Conciliation, ni au cours des réunions contradictoires des 17 mai et 11 septembre 2000 tenues en présence du collège arbitral ;
Qu'en effet, le syndicat requérant avait demandé le 13 mars 1998 une augmentation de 1.000 francs du montant mensuel de l'élément non hiérarchisé de la prime bancaire monégasque actuellement de 459,15 francs et ce, depuis le 1er août 1996, en raison du gel du point bancaire ;
Que l'Association monégasque des banques a accepté au cours de la réunion du 11 septembre 2000, tout en maintenant son argumentation, par souci de conciliation de majorer ledit montant de 100 francs, soit une augmentation dudit élément de 22 % ;
Qu'au cours de la même réunion, le syndicat demandeur acceptait cette majoration à la condition que soit immédiatement engagée une négociation sur la revalorisation du prix du point bancaire à compter du mois d'août 1996 ;
Que cette demande nouvelle n'a pas reçu une réponse favorable de l'Association monégasque des banques.
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Attendu que le syndicat demandeur a fondé sa requête sur les attendus et conclusions de la sentence rendue par M. Félix BOSAN le 18 juin 1960 qui instituait la prime bancaire monégasque ainsi que sur les sentences du 1er avril 1974 et du 18 juin 1984 portant sur la revalorisation de l'élément non hiérarchisé de la prime bancaire ;
Que la sentence BOSAN se réfère à deux critères :
- la variation des conditions économiques ;
- la prospérité des banques,
Que le syndicat retient comme moyen principal de sa requête la prospérité grandissante et continue du secteur bancaire de 1996 à 2000 et plus particulièrement des banques de Monaco du fait de la spécificité de la place en appuyant son argumentation sur des articles parus dans la presse nationale sur l'essor de la place bancaire de Monaco et des statistiques fournies par l'Administration monégasque sur le chiffre d'affaires, le nombre d'établissements et les effectifs ;
Que cette prime bancaire comporte deux éléments :
- l'élément hiérarchisé, dont l'évolution prend en compte le coefficient de chaque employé ;
- l'élément non hiérarchisé, seul concerné en l'espèce, qui n'évolue qu'en parallèle du point bancaire,
Qu'en théorie et du fait du critère lié à la prospérité des banques, la révision de l'élément non hiérarchisé aurait dû être régulièrement proposée par l'Association Monégasque des Banques du fait de l'évolution favorable du secteur bancaire qu'elle est seule à maîtriser, du moins en ses éléments objectifs ;
Qu'en fait, l'élément non hiérarchisé a suivi une évolution parallèle à celle du point bancaire et ponctuellement, lorsque l'écart devenait trop important entre les réalités économiques, la prospérité du secteur bancaire et l'évolution du point, l'élément non hiérarchisé de la prime a été révisé par le biais d'arbitrages ;
Que, d'une part, l'élément non hiérarchisé n'a plus été révisé depuis 1984, d'autre part, il n'a plus suivi d'évolution parallèle à celle du point du fait du gel de ce point depuis 1996 ;
Que le syndicat fonde sa demande sur un souci d'équité afin de revaloriser de manière égalitaire les revenus de tous les employés de banque quel que soit leur statut, leur classe ou leur coefficient parallèlement à l'augmentation du coût de la vie et à la prospérité du secteur dans lequel ils oeuvrent; ils affirment que 40 à 60 % des effectifs ont vu leur rémunération totalement gelée, alors que le reste de l'effectif percevait diverses primes plus ou moins importantes mais totalement arbitraires ;
Que les éléments chiffrés de la Caisse autonome des retraites concernant les salaires des employés de banques démontrent que plus de la moitié des employés ont des salaires bruts inférieurs à 240.000 francs par an ;
Que subsidiairement le syndicat fait valoir que le point n'a pas évolué depuis 1996 alors que le renchérissement du coût de la vie est, lui, constant.
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Attendu que l'Association Monégasque des Banques considère que la prime bancaire a été instituée par l'arbitre Félix BOSAN en 1960 dans le contexte de blocage des salaires en vigueur à cette époque pour éviter la déconnexion, qui était revendiquée par le syndicat, des salaires nicois et monégasques et prendre en compte néanmoins la prospérité des banques en Principauté ;
Que depuis lors, les dispositions réglementaires monégasques ne reposent plus sur l'alignement des salaires avec ceux en vigueur à Nice, mais sur une simple référence a minima visant à éviter que des salaires à Monaco puissent être inférieurs à ceux pratiqués à Nice dans les mêmes professions ;
Que les conditions qui avaient motivé l'arbitre à instaurer cette prime ne sont plus réunies ;
Qu'aujourd'hui les salaires, pour la profession bancaire, se trouvent la plupart du temps bien au-delà des minima de référence.
Des statistiques émanant de la Caisse autonome des retraites, il ressort que 53,2 % des salariés ont un revenu annuel supérieur à 240.000 francs, la moyenne arithmétique se situant à 463.580 francs de salaire brut annuel ;
Que la prime bancaire monégasque n'est pas le seul moyen de constater le développement économique de la place qui n'est pas au demeurant contesté ;
Que les primes de bilan ou de résultat sont versées à tous les collaborateurs de l'établissement, souvent selon une répartition hiérarchisée ;
Que cette prime varie très probablement dans des proportions importantes d'un établissement à l'autre, cette modulation étant directement proportionnelle aux retombées économiques que la banque s'est assurée par ses efforts de développement ;
Que la prise en considération de la prospérité de la place bancaire monégasque ressort de la comparaison entre le coût salarial total dans le pays voisin et celui d'une banque moyenne à statut monégasque (1998 : coût moyen d'un agent en France : 372.000 francs - coût moyen d'un agent à Monaco : 465.000 francs) ;
Que l'évolution des rémunérations réelles des personnels des banques de Monaco s'est continuée, nonobstant l'absence d'évolution du point bancaire. Entre 1996 et 1999, période de très faible inflation, le salaire brut moyen par agent dans la profession bancaire a connu une évolution positive de 23 % ;
Qu'ainsi les politiques de salaire menées par les établissements ont déjà largement répercuté en termes de revenus salariaux les effets du développement de l'activité bancaire à Monaco ;
Que si la place bancaire connaît un développement, rien ne permet de conclure qu'il est uniforme ;
Qu'à l'appui de cette constatation sont fournies des statistiques émanant de la Banque de France au terme desquelles, sur un échantillon d'établissements les plus performants, la variation moyenne des actifs gérés (1998/1999) varie de + 66,08 alors que pour les banques les moins performantes, la variation moyenne n'est que de + 0,6 ;
Qu'augmenter uniformément les salaires en majorant la partie non hiérarchisée de la prime, équivaudrait à pénaliser encore plus les établissements les plus fragilisés ;
Que le traitement de quelques cas particuliers ne peut justifier la prise, par voie d'arbitrage, d'une mesure globale ;
Que l'Association monégasque des banques tire des statistiques fournies que la démarche du syndicat qui consiste à réclamer une modification généralisée de l'élément non hiérarchisé de la prime bancaire ne peut pas trouver sa justification dans une situation salariale globale qui pénaliserait les agents monégasques par rapport aux agents français comme c'était le cas lorsqu'a été instituée la prime bancaire ;
Que la cause qui a institué cette prime bancaire a disparu et qu'il n'y a donc pas lieu d'en assurer une revalorisation au-delà de ce qui est prévu par les mécanismes conventionnels ;
Que l'Association monégasque des banques souligne, en outre, la grande incertitude qui pèse sur les éventuels effets à Monaco des dispositions prises en France en matière de réduction du temps de travail.
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Les arbitres, compte tenu des moyens invoqués par les parties et rappelés ci-dessus.
SUR LA NATURE DU CONFLIT
Eu égard à l'article 8 alinéas 2 et 3 de la loi n° 473 du 4 mars 1948 relative à la conciliation et l'arbitrage des conflits collectifs du travail qui dispose que :
(Les arbitres) "statuent, suivant les règles du droit, sur les conflits collectifs du travail d'ordre juridique, c'est-à-dire sur les conflits relatifs à l'exécution des conventions collectives, des lois, ordonnances et arrêtés sur le travail.
Les arbitres statuent en équité sur tous les autres conflits collectifs du travail et notamment sur ceux d'ordre économique".
Considérant que le présent litige ne porte pas sur les applications des règles et stipulations en vigueur dont les parties ont, au demeurant, reconnu le parfait respect ;
Qu'il apparaît ainsi que le présent conflit ne revêt pas un caractère juridique et qu'il s'agit donc bien d'apprécier en équité l'objet de la demande ;
SUR L'OBJET DU LITIGE
Considérant que, la lettre et l'esprit des stipulations de la convention collective et des arbitrages relatifs à la création de la prime bancaire et à la détermination de ses deux éléments ont bien été respectés ;
Que le litige porte sur les modalités d'évolution de l'élément non hiérarchisé de la prime bancaire ;
Que le syndicat demandeur s'appuie sur les critères ayant servi de fondement à l'instauration de la prime bancaire, à savoir :
- la prospérité des banques ;
- la variation des conditions économiques,
Etant entendu :
- qu'aucune révision de l'élément non hiérarchisé n'est intervenue depuis 1984 ;
- que le point bancaire sur lequel était indexée ladite prime a été gelé depuis 1996 ;
Que le syndicat considère que seule une augmentation égalitaire permettrait de revaloriser de manière équitable les revenus de tous les employés de banque parallèlement à la prospérité du secteur ;
Qu'en ce qui concerne le premier moyen invoqué "la prospérité du secteur bancaire" s'il a été l'un des motifs ayant conduit à l'instauration de cette prime, il apparaît, au vu des statistiques de la Caisse autonome des retraites, qu'aujourd'hui cet élément est pris en compte dans la détermination des rémunérations annuelles octroyées au personnel par le versement de différentes primes directement liées à la prospérité de chaque établissement.
Que par ailleurs, ladite prospérité, si elle n'est pas contestée par l'Association Monégasque des Banques, est cependant, comme le démontrent les statistiques fournies, très variable d'un établissement à l'autre et n'implique pas une progression des bénéfices nets de chacun des établissements, puisque selon les chiffres fournis par l'Association monégasque des banques et non contestés par le syndicat, la moyenne des actifs gérés pour les années 1998/1999 varie de + 66,08 pour les banques les plus performantes à + 0,6 pour les banques les moins performantes ;
Qu'au surplus, l'évolution de la prospérité des établissements bancaires ne peut être déterminée de manière uniforme - le syndicat n'ayant lui-même pas été en mesure de définir les éléments l'ayant amené à demander une augmentation uniforrne de 1.000 francs ;
Que d'une manière générale les rémunérations du secteur bancaire monégasque ont évolué ces dernières années plus rapidement que les rémunérations servies dans la même profession dans le pays voisin et plus rapidement que le renchérissement du coût de la vie; de 1996 à 1999 cette évolution des rémunérations est de + 23 % dans le secteur bancaire monégasque selon les statistiques fournies par la Caisse autonome des retraites ;
Qu'en conséquence le blocage éventuel des salaires d'une partie du personnel ne peut être compensé par une mesure de portée générale et identique pour tous les salariés ;
Qu'en ce qui concerne le deuxième moyen subsidiaire énoncé par le syndicat "la variation des conditions économiques", il conduirait à retenir, pour compenser le gel du point bancaire depuis 1996, en prenant pour référence les indices mensuels des prix à la consommation en France, série 1990 et 1998 (INSEE), une augmentation de 19,13 francs de la partie non hiérarchisée de la prime bancaire la portant à 478,28 francs (valeur juillet 2000) ;
En conséquence et par ces motifs, les arbitres statuant en équité décident :
"Le montant mensuel de la partie non hiérarchisée de la prime bancaire est porté à 560 francs".
Ce montant avait été proposé aux parties lors de la réunion de conciliation du 11 septembre 2000.
Le Syndicat des employés, gradés et cadres de banque de Monaco, n'a pas donné son accord.
L'Association monégasque des banques, a accepté à titre de conciliation.