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TRIBUNAL SUPRÊME de la Principauté de Monaco - EXTRAIT - Audience du 6 juin 2024 - Lecture du 18 juin 2024

  • N° journal 8704
  • Date de publication 19/07/2024
  • Qualité 100%
  • N° de page

Recours tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de l’arrêté du 9 août 2023 du Secrétaire d’État à la Justice, Directeur des Services Judiciaires, Président du Conseil d’État, désignant S. B. pour assurer la continuité du service du Tribunal Suprême.

En la cause de :

C.P. ;

Ayant primitivement élu domicile en l’étude de Maître Sarah FILIPPI, Avocat-défenseur près la Cour d’appel de Monaco, puis en celle de Maître Xavier‑Alexandre BOYER, Avocat-défenseur près la Cour d’appel de Monaco, et plaidant par Maître Pierre-Olivier SUR, avocat au Barreau de Paris ;

Contre :

L’État de Monaco, représenté par Madame le Secrétaire d’État à la Justice, Directeur des Services Judiciaires, Président du Conseil d’État, ayant pour Avocat-défenseur Maître Hervé CAMPANA et plaidant par Maître Yvon GOUTAL, avocat au Barreau de Paris ;

LE TRIBUNAL SUPRÊME

Siégeant et délibérant en assemblée plénière,

…/…

Après en avoir délibéré :

1. Considérant que C.P. demande l’annulation pour excès de pouvoir de l’arrêté n° 2023‑28 du 9 août 2023 du Secrétaire d’État à la Justice, Directeur des Services Judiciaires, Président du Conseil d’État, désignant S. B., membre titulaire du Tribunal Suprême, pour assurer la continuité du service du Tribunal Suprême ;

Sur les conclusions à fin d’annulation

2. Considérant que l’article 88 de la Constitution dispose que « Le pouvoir judiciaire appartient au Prince qui (…) en délègue le plein exercice aux cours et tribunaux » et qu’en vertu de l’article 89, les membres du Tribunal Suprême, et notamment son président, sont nommés par le Prince ; qu’aux termes de l’article 1er de l’Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963 modifiée, sur l’organisation et le fonctionnement du Tribunal Suprême : « Les membres titulaires et suppléants du Tribunal Suprême sont nommés dans les formes et conditions prévues à l’article 89 de la Constitution. Leur mandat est d’une durée de huit ans. Il n’est pas renouvelable sauf à l’égard de membres titulaires ou suppléants nommés à la suite d’une démission, d’un empêchement, d’un décès ou d’une révocation, pour une durée inférieure à deux années. / Pour une bonne administration de la justice, il est procédé aux nominations des membres du Tribunal Suprême en deux séries distantes de quatre années, dans les conditions suivantes : / - sont nommés à la même date, le membre suppléant proposé par le Conseil National, le membre proposé par la Cour d’Appel et les membres proposés par le Conseil d’État ; / - sont nommés quatre années plus tard, le membre proposé par le Conseil de la Couronne, le membre titulaire proposé par le Conseil National et le membre proposé par le Tribunal de Première Instance. / Le Président et le Vice-président du Tribunal Suprême sont désignés par le Prince. Le Vice-président est chargé d’assurer la suppléance du Président en cas d’absence, d’empêchement ou lorsqu’il lui est fait application des articles 25‑1 ou 25 » ; qu’aux termes de l’article 10 de l’Ordonnance Souveraine susmentionnée : « L’assemblée plénière comprend les cinq membres titulaires du Tribunal. En cas d’absence ou d’empêchement d’un ou de deux membres titulaires, le Président complète le Tribunal en appelant un ou deux membres suppléants » ; qu’aux termes de l’article 11 de cette Ordonnance Souveraine : « La section administrative est composée de trois membres désignés par le Président dont deux au moins sont titulaires. (…) Lorsque le Président ou le Vice-président ne fait pas lui-même partie de la section administrative, la présidence de celle‑ci est assurée à l’ancienneté de fonction ou, à défaut, d’âge des membres désignés. / En cas d’empêchement d’un membre désigné, son remplacement est assuré, pendant la durée de cet empêchement, par un membre titulaire ou suppléant désigné à cette fin par le Président du Tribunal. » ; qu’enfin, en vertu de l’article 1er de la loi n° 1.398 du 24 juin 2013 relative à l’administration et à l’organisation judiciaires, « Le Directeur des Services Judiciaires assure la bonne administration de la justice » et, selon l’article 2 de la même loi, il « prend tous arrêtés et décisions nécessaires dans le cadre des lois et règlements » ;

3. Considérant, en premier lieu, que C.P. soutient que l’arrêté attaqué est entaché d’incompétence dès lors que le Prince Souverain est la seule autorité compétente en la matière en vertu de la Constitution et que le Directeur des Services Judiciaires ne peut se fonder sur aucune disposition pour organiser l’intérim de la présidence du Tribunal Suprême ;

4. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le mandat de D. L. alors Président du Tribunal Suprême, qui n’était plus renouvelable, est arrivé à expiration le 8 août 2023 ; qu’en outre, le mandat du Vice-président, D. R., qui n’était plus renouvelable, est également arrivé à expiration le 8 août 2023 ; qu’à cette même date sont arrivés à expiration les mandats de deux autres membres du Tribunal Suprême, lesquels n’étaient pas davantage renouvelables ; que, par l’arrêté attaqué du 9 août 2023, le Secrétaire d’État à la Justice, Directeur des Services Judiciaires, a chargé S. B., membre titulaire, « pour assurer la continuité du service du Tribunal Suprême dans l’attente de la désignation des nouveaux Président et Vice-président, de suivre les procédures en cours et de prendre toute mesure urgente » ; que c’est par une Ordonnance Souveraine du Prince en date du 6 octobre 2023 que S. B. a été nommé Président du Tribunal Suprême ;

5. Considérant que, contrairement à ce que soutient le requérant, il ne résulte d’aucun texte ni d’aucun principe général une règle selon laquelle à l’expiration de son mandat, le Président du Tribunal Suprême assurerait de droit l’intérim des fonctions jusqu’à la nomination de son successeur ; qu’en revanche, en l’absence de disposition prévoyant expressément un régime de suppléance, d’intérim ou de délégation en cas d’empêchement conjoint, d’une part, du Président du Tribunal Suprême et, d’autre part, de son Vice-président, les dispositions précitées de l’article 11 de l’Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963, modifiée, combinées avec les autres dispositions mentionnées au considérant 2. ci‑dessus, doivent, afin d’assurer à la fois la continuité du service public de la justice, le respect de l’indépendance du Tribunal Suprême et l’intérêt d’une bonne administration de la justice, être interprétées comme chargeant le membre le plus ancien ou, à défaut, le plus âgé d’assurer la continuité du service du Tribunal Suprême ;

6. Considérant qu’il s’ensuit qu’en vue d’éviter une interruption préjudiciable au bon fonctionnement du service public de la justice, dans l’attente de la nomination par le Prince Souverain du successeur du Président dont le mandat était arrivé à expiration, le Secrétaire d’État à la Justice, Directeur des Services Judiciaires, qui n’est pas membre de l’exécutif et qui est investi de la mission d’assurer la bonne administration de la justice en vertu des textes susmentionnés et dispose à cet effet d’une compétence générale pour prendre des arrêtés et décisions nécessaires à l’accomplissement de cette mission, a pu légalement charger, à titre provisoire, S. B. d’assurer la continuité du service dès lors que celui‑ci était le plus âgé des trois membres titulaires du Tribunal Suprême nommés par l’Ordonnance Souveraine n° 7.743 du 17 octobre 2019 pour une période de huit ans à compter du 8 août 2019 ; que, ce faisant, le Directeur des Services Judiciaires s’est borné à mettre en œuvre les mesures d’organisation de service telles qu’elles résultent nécessairement de l’application de la règle énoncée au considérant 5. ci‑dessus ; que par suite, le moyen tiré de l’incompétence de l’auteur de l’acte querellé ne peut qu’être écarté ;

7. Considérant, en second lieu, qu’il résulte de ce qui précède que pour contester la légalité de cet arrêté, le requérant ne saurait utilement soulever les moyens tirés de la violation du principe de séparation des pouvoirs ou de la violation du droit au procès équitable protégé par l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que, pour les mêmes motifs, doivent également être écartés comme inopérants les moyens tirés du détournement de pouvoir et de l’atteinte au principe d’impartialité, lesquels reposent au demeurant sur des allégations dépourvues de justifications ;

8. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède, et sans même qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le Secrétaire d’État à la Justice et tirée du défaut d’intérêt à agir du requérant contre l’arrêté attaqué en ce qu’il porte mesure d’organisation du service du Tribunal Suprême, que C.P. n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêté du 9 août 2023 du Secrétaire d’État à la Justice, Directeur des Services Judiciaires ; que par suite, il y a lieu de rejeter le recours pour excès de pouvoir qu’il a formé contre cet arrêté ainsi que, par voie de conséquence, sa demande en déclaration d’inexistence de cet acte ;

Sur les conclusions tendant à la suppression de passages injurieux, outrageants ou diffamatoires

9. Considérant que le Secrétaire d’État à la Justice sollicite, dans le cadre d’une demande dite de bâtonnement, la suppression du passage, selon lui injurieux, figurant en page 2 du mémoire en réplique du requérant sur le fondement de l’alinéa 2 de l’article 34 de la loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 sur la liberté d’expression publique ;

10. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 34 de cette loi : « Ni les discours ou plaidoiries prononcés, ni les écrits produits devant les tribunaux, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires ne donnent lieu à action en diffamation, injures, outrages, atteintes à la vie privée. / Les juges saisis de la cause et statuant sur le fond peuvent néanmoins prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires relatifs aux faits de la cause et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts » ; que, d’autre part, en vertu de l’article 23 de la loi n° 1.047 du 28 juillet 1982 sur l’exercice des professions d’Avocat-défenseur et d’avocat, ces derniers « ne peuvent avancer aucun fait grave contre l’honneur ou la réputation des parties à moins que la cause ne l’exige » ; que, selon le second alinéa de ce même article, « La juridiction saisie de la cause peut ordonner la suppression des écrits injurieux ou diffamatoires » ;

11. Considérant que, dans le contexte spécifique de l’affaire et les circonstances particulières de l’espèce, les passages des écritures dont la suppression est demandée, pour regrettable que soit le ton inapproprié avec lequel ils sont formulés, n’ont pas excédé les limites de la controverse entre parties dans le cadre d’une procédure contentieuse ; que, dès lors, ils ne peuvent être regardés comme justifiant l’usage par le Tribunal Suprême des pouvoirs conférés par les dispositions précitées ; que, par suite, la demande dite de bâtonnement présentée par le Secrétaire d’État à la Justice doit être rejetée ;

Décide :

Article Premier.

La requête de C.P. est rejetée.

Art. 2.

Les conclusions du Secrétaire d’État à la Justice, Directeur des Services Judiciaires, tendant à la suppression de passages injurieux, outrageants ou diffamatoires sont rejetées.

Art. 3.

Les dépens sont mis à la charge de C.P..

Art. 4.

Expédition de la présente décision sera transmise au Secrétaire d’État à la Justice, Directeur des Services Judiciaires et au Ministre d’État.

Pour extrait certifié conforme à l’original délivré en exécution de l’article 37 de l’Ordonnance Souveraine n° 2.984 du 16 avril 1963.

Le Greffier en Chef,

N. Vallauri.

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